es yeux écarquillés du ranger trouvèrent les siens et Lilibelle haussa une épaule, son bras droit reposant, inutile, sur ses genoux joint. Dans n’importe quelle autre situation, l’immobiliser, assurer le corps étranger et attendre les secours aurait été la seule solution envisageable mais le terrain avait cessé d’être accidenté pour n’être qu’un vaste champ de bataille. Le temps que les secours parviennent jusqu’à lui, il n’était pas dit qu’il soit mort d’une hémorragie ou d’une infection. Et puis il pouvait être utile là où elle ne pouvait que travailler dans l’ombre à rafistoler les gens. Elle l’avait vu sur son dracaufeu fabuleux, rugissant, déterminé. Bravant le danger sans un regard en arrière, priorisant ce qu’il estimait être le plus juste, le plus important. Elle ne pouvait pas prendre ces décisions, elle pouvait juste saluer et se mettre au travail. Un minion parmi d’autre. Il devait briller, il devait protéger… il n’avait pas le droit de périr. Serrant les lèvres derrière une nouvelle vague de larmes, Lilibelle se concentra sur sa tâche, tirant sur la couverture de calme pour s’y enrouler de son mieux, ignorant les trous béants qui la marbraient.
Jetant le corps étranger sur le côté, serrant les doigts sur une nouvelle nausée, la soigneuse accompagna les efforts de bibichut, utilisant les compresses qu’il lui restait pour presser sur les hémorragies. La petite princesse avait beau travailler vite, la plaie restait conséquente et la reconstruction n’était pas anodine.

« C’est très bien ma chérie, » souffla-t-elle, jetant une compresse, surveillant les progrès. « Ne tire pas trop sur la peau, l’important c’est- » La jeune femme cilla et sourit : « Mieux. De l’intérieur vers l’extérieur, » répéta-t-elle doucement, hochant la tête.

Le travail achevé, la soigneuse se redressa, grimaçant lorsque les muscles de son dos tressaillirent de douleur, sa propre tête assaillie de vertiges. Bibichut vint se lover contre elle tandis que le ranger se relevait, testant sa mobilité avec une grimace. Une grimace qui prit une ampleur terrible, illuminée par-dessous, l’oeuf dans ses mains s’illuminant si fort que, pendant un instant, c’était tout ce qu’elle pouvait voir. La coquille illuminée de l’intérieur et le petit Pokémon qui en surgit, un charbambin aux couleurs inhabituelles… et l’impression. La peau de Lilibelle se hérissa, un frisson inconnu la traversant des pieds à la tête et de la tête aux pieds durant le bref instant où le Pokémon se tint là, fier et tout petit. Si jeune et pourtant. La soigneuse croisa le regard incandescent du bébé avant qu’il ne s’élance avec toute l’ardeur d’un combattant se jetant au-devant du danger. Et le petit héros vint à bout du monstre, David et Goliath avec un petit twist.
La jeune femme sourit, un rien, à la pensée. Là où Even s’était relevée, elle était restée assise, convaincue que la position verticale n’allait pas lui faire le plus grand bien. La chute du monstre d’acier ne lui fit ressentir aucun triomphe. Qu’est-ce qui avait bien pu pousser le Pokémon à agir de la sorte ? Rien n’arrivait sans raison et les pokémons… les pokémons n’agissaient pas sans raison, d’autant qu’il avait… il y avait un dresseur derrière cette histoire et c’était son Pokémon qui en avait fait les frais. Un mort parmi d’autres, sa gigantesque carcasse était juste celle qu’on voyait le plus au milieu des corps brisés.

A côté d’elle, le ranger s’installa dans la poussière et les débris, la détermination d’en découdre ne tenait plus ses épaules droites et son corps prêt à faire face au pire. Ses paroles lui tirèrent un faible sourire et si elle avait saisi ce qu’il voulait exprimer, elle secoua la tête malgré elle. « Pour eux c’est fini… pour nous, ça ne fait que commencer… » La bataille pour sauver les blessés, arracher à la mort ceux avec lesquels elle avait commencé une danse lente et inexorable. La bataille, après, pour se remettre de ce qu’ils avaient vécu. Et cette bataille là pouvait ne jamais trouver de fin.
Lilibelle tourna la tête vers le triage. Elle avait des blessés à soigner mais d’abord. « Je dois retrouver Ivy. » L’angoisse qui lui serrait le ventre depuis un moment maintenant, il était temps d’y mettre un terme et de récupérer sa petite boule à paillettes. Elle rappela Bibichut dans sa pokéball, lui offrant un peu de temps pour se reposer, la remerciant à voix basse et s’apprêtant à se redresser pour partir dans une lente chasse à la barbapapa lorsqu’une lueur perçue du coin de l’oeil attira son attention. Une fraction de seconde avant qu’Even ne l’attrape à bras le corps, pivotant pour offrir son dos à-

« Non. NON ! IVYYYYYY !! »

La prise du ranger était inébranlable mais elle se débattit malgré elle. Parce qu’elle devait sauver Ivy. Parce qu’il était hors de question qu’il meurt alors qu’elle venait de le sauver ! « Faites pas ça, j’vous en prie ! » Elle agrippa les épaules du ranger, sanglotant, son corps secoué par les pleurs tandis qu’il la remerciait et qu’elle se recroquevillait contre lui. Ce n’était pas la première fois qu’on la protégeait de son corps et Bibichut n’était pas là, elle n’avait pas besoin de retenir le désespoir qui l’inonda comme un raz-de-marée. La paix et la joie, c’était pour quand ? Par qui voulait bien l’entendre, elle en avait assez de la peur, de l’horreur et de l’ignorance. Elle voulait un monde en paix, elle voulait l’entente et le partage, elle voulait une main dans la sienne et tenant celle de l’autre.
Les cris d’Even lui firent ouvrir les yeux pour découvrir qu’à la protection du ranger s’ajoutait celle du steelix sombre, laissant, au loin, la silhouette esseulée de sa dresseuse aux cheveux roses, comme les siens. Et, à côté d’elle, Ivy. « Ivy ! » glapit-elle, se débattant sur la prise d’Even, prête à.. à rien du tout. Il n’y avait rien à faire. La lueur de l’attaque gagnait en intensité, oblitérant toute couleur et là où la lueur de l’oeuf était pleine d’espoir, celle là anéantissait tout sur son passage. Le ranger la serra d’autant plus fort contre lui et Lilibelle se laissa faire, anéantie. Fermant les yeux et enfouissant son visage dans le col d’Even. Il n’y avait plus rien. Plus d’espoir. Sa petite Ivy. Alisha. Tous ceux qu’elle avait croisé jusque là. Tant de peine, de douleur et de souffrance pour rien. Absolument rien. Elle s’était battue pour rien. Pire, elle avait mit Ivy en danger et, où qu’il soit, Poppy allait en faire les frais aussi. Elle ne valait pas mieux que le dresseur qui avait envoyé son Pokémon faucher la fête.

Les hurlements s’étaient décuplés, le désespoir dévorant le peu de calme qui avait réussi à s’installer après ce qui ressemblait à un répit. Et puis, soudain.

Le silence.

Un vent glacial écrasa la chaleur, privant la peur d’oxygène et l’étouffant dans un gant d’acier.

Les bras d’Even relâchèrent leur prise et ils relevèrent tous deux la tête à temps pour voir passer éclat bleu, sa longue queue comme un étendard à l’espoir, un bleu intense en contraste avec l’obscurité de la nuit.

Ils étaient venus.

Le steelix noir se désengagea lentement, ses anneaux d’acier grinçant subtilement les uns contre les autres tandis qu’il s’éloignait rejoignant sa dresseuse. Un boulet de canon s’écrasa dans les bras de la soigneuse, lui arrachant une exclamation de joie, la douleur noyée sous le soulagement. Elle s’enroula autour de la petite evoli, laquelle faisait de son mieux pour frotter l’intégralité de son petit visage contre celui de sa dresseuse, s’exclamant de petits « Vi ! », incapable de rester en place, tournant dans ses bras, cherchant à réconforter et à être réconfortée.
Le ranger se releva, observant un instant l’horizon avant de s’éloigner d’un pas lent.

Oh non.
Certainement pas.

Se redressant vivement, ignorant les élancements douloureux et le vertige, Lilibelle serra les  bras autour d’Ivy et les lèvres, les yeux lançant des éclairs. Ivy se déplaça sur les épaules de sa dresseuse, lui permettant d’attraper de son bras valide le ranger par la manche, tirant dessus pour le forcer à se retourner. « Hé ! » Et, à l’instant où il lui fit face, elle lui asséna un coup de pied dans le tibias, relevant le nez vers lui, l’expression orageuse malgré les larmes qui coulaient sur ses joues, traçant des sillons clairs sur la suie, le grim et le sang qui maculaient sa peau. « Faites plus jamais ça ! » Et dans les trémolos de sa voix, on pouvait entendre d’autres mots. Vous m’avez fait peur ! Merci. J’vous avais sauvé, vous n’aviez aucun droit de mourir ! Merci… Merci.
Elle serra les lèvres, le nez froncé, releva la tête avec détermination, renifla pathétiquement et lui tourna le dos pour s’éloigner à grandes enjambées. L’effet fut quelque peu anéanti lorsqu’elle glissa et manqua de s’effondrer dans la suie mais elle reprit son chemin avec détermination. Elle s’y accrochait comme une naufragée à une bouée, déterminée à ne pas s’effondrer. Elle n’avait pas le temps. Même si… Lilibelle tourna la tête vers Alisha et le steelix, gravant les traits de la jeune femme dans sa mémoire. Avant la fin des événements, elle irait la remercier, elle irait… Even était avec elle et un soldat aussi, ce n’était pas le moment. Plus tard. Mais elle irait, quoiqu’il en coûte.

Un nez velouté lui effleura la main et un hennissement bas lui fit baisser le nez. « Poppy ! » Elle se jeta au cou du ponyta, l’enlaçant de toute ses forces, Ivy glapissant de joie à son tour, frottant sa joue contre celle du ponyta et, contrairement à d’habitude, le fier Pokémon se laissa faire. Appuya sa tête contre celle de sa dresseuse et contre sa partenaire à fourrure. Il avait, sur lui, des traces de paumes ensanglantées, des traces de toutes sortes de choses et Lilibelle sourit : « T’en as tiré combien ? » Le ponyta releva la tête fièrement. « Beaucoup » dit-il sans un mot avant de lui tourner le dos et d’ouvrir la marche vers le triage.

Trônant au milieu des autres, impeccable là où d’autres traînaient la misère sur leurs épaules, le prince William observait le carnage, le visage fermé. Lilibelle leva les yeux vers le ciel, le rugissement de l’artikodin résonnant dans sa mémoire comme le glas de l’horreur et elle soupira.
Si seulement ils avaient pris la peine d’en faire de même pour Callero.
Si seulement…

Elle inspira doucement, referma la porte sur ces pensées et carra les épaules. Elle s’occuperait d’elle-même plus tard.

Arrivant au triage, elle chercha Logan du regard et trouva l’infirmier affairé autour d’un homme au bras cassé. « Logan ? » Il leva des yeux hagards vers elle et son visage s’éclaira soudain. De soulagement. D’espoir, un peu. « M’zelle ! » Il se releva un rien trop vite, titubant lorsque ses genoux protestèrent après être resté agenouillé trop longtemps et, grimaçant, s’interrompit une seconde devant elle. « Les patients continuent d’affluer mais plus lentement, » raconta-t-il rapidement, pressé de se débarrasser de la charge. « On manque de matériel mais si les secours arrivent bientôt, » son regard s’éclaira lorsqu’il trouva la silhouette inspirante du prince, puisant des forces dans son dos droit et le Pokémon légendaire qui l’accompagnait, « on devrait pouvoir s’en tirer. »
Elle sourit et hocha la tête, s’emparant d’une écharpe pour maintenir son bras le temps qu’on s’occupe de ce pépin-là, elle retroussa la manche qui lui restait, se désinfecta les mains puis se mit au travail.
Redirigeant les blessés qui continuaient d’arriver, soignant de son mieux et rappelant Bibichu. « On stabilise, » lui indiqua-t-elle fermement. « Ne t’épuise pas, l’aide est en chemin, l’important c’est de les garder en vie jusqu’à ce qu’ils arrivent, d’accord ? » Hochant la tête fermement, la petite Pokémon et sa dresseuse prirent en charge le triage 3, les plus touchés, et reprirent la lourde tâche de maintenir en vie les plus critiques le temps que les secours arrivent, ils n’étaient plus loin.

Le prince non plus, constata-t-elle. Du carnage qu’il avait observé, du steelix qu’il avait privé de victoire, le prince était là. Au triage. Son regard passant d’un blessé à un autre, observant et aboyant des ordres. Exigeant de trouver les responsables, ordonnant de sécuriser les lieux et de ramener les victimes. Quelqu’un d’autre était en charge. Quelqu’un d’autre épaulait les responsabilités. Lilibelle n’avait plus qu’à faire son travail. Ivy était avec elle, pelotonnée à proximité, Bibichut travaillait d’arrache-pieds, comme elle, et Poppy s’était allongé derrière elle, lui offrant le soutient de son épaule forte malgré son propre épuisement.