Aujourd'hui, c'est un jour sans.

Envoyée en banlieue de Castra Nicia pour un séminaire dans le cadre de son emploi, Lina a bien pris soin de ne pas lésiner sur son traitement : la faute à une nécessité de paraître aussi neutre et professionnelle que possible, sans saute d'humeur tolérée. Par conséquent, c'est la très distante Angelina Kreuz, titulaire d'un doctorat en ingénierie et spécialisée en développement CT, qui a passé la journée en ensemble tailleur, à assister à des conférences toutes plus chiantes les unes que les autres pendant qu'elle se noyait dans sa profonde apathie. Ses quelques collègues avaient paru émerveillés parce qu'ils apprenaient. Elle, beaucoup moins. La plupart des informations, elle les connaissait déjà depuis un bail, suivant bon nombre de comptes et sites spécialisés sur les réseaux. Parce que le matériel mis à sa disposition par la Révolution lui permet de mettre ce qu'elle lit en application, et que chaque avancée qui peut leur donner un coup d'avance - ou, du moins, une chance de jouer des coudes avec l'Empire en termes de capacités technologiques - mérite d'être poussée à fond.

Histoire de ne pas laisser son âme se flétrir de l'intérieur, elle a filé en douce à l'instant où on lui laissait quartier libre au lieu de rejoindre le restaurant de l'hôtel réservé par son entreprise. Au fond de sa sacoche, la Poké Ball renfermant Strykk, qu'elle garde partout sur elle et a donc pu utiliser à l'abri des regards, lui a permis cette fuite salutaire dans la direction opposée à la ville. Voilà pourquoi, sous le soleil couchant, elle erre sans but sur les chemins, profitant de l'air pur et du silence pour réfléchir.

Car si ses cachets brident le flux de ses humeurs, ils lui permettent aussi de mieux concentrer sa réflexion. Le vrai problème, c'est qu'ils freinent également quelque peu celle-ci, comme si ses pensées intrusives étaient glissées dans des tiroirs, dont elle ne possède pas la clé mais dont elle tente toujours de tirer les poignées. Ce qui peut s'avérer pratique, mais n'est pas vraiment à son goût : depuis qu'elle s'est trouvée elle-même, des années auparavant, grâce à un sevrage imposé par la force des choses, elle aimerait ne plus avoir à s'excuser auprès de quiconque de sa manière d'exister. Une acceptation qu'elle trouve, tacitement, dans les rangs de la Révolution. Là-bas, où chacun court après sa propre forme de liberté, qui pour la juger sur la façon dont elle envisage la sienne?

Si seulement elle pouvait abandonner son identité civile et vivre entièrement hors-la-loi. Elle serait libre de cette entrave mentale qui l'use à petit feu... Mais alors, comment participer, au vu et su de tous, à l'effort de reconstruction de sa région, travail cher à son cœur et dont les résultats lui apportent tant de joie?

C'est sur ces considérations qu'un bruissement se fait entendre, non loin d'elle.
Qui va là?