Difficile d'ignorer la demoiselle qui cavale vers en agitant son papier. Une arrivée impromptue et inattendue qui ne t'inquiète pourtant pas plus que ça une fois que Soren a parcouru la lettre qu'elle lui présente : tu as beau ne pas la connaître, si elle montre patte blanche ça fait toujours une paire d'yeux supplémentaires pour mener l'enquête qui vous a tous menés jusqu'ici. Comme à son habitude, Cyrus s'approche de la jeune femme pour se présenter et la saluer en tendant dans sa direction l'une de ses grosses paluches blanches. Vos péripéties ne commence cependant que lorsque vous descendez enfin dans les entrailles du canyon. Juste avant de te laisser dans le vide, et malgré la présence de Diana en contrebas, tu fais signe à Cyrus de sauter en même temps que toi afin d'utiliser Lévikinésie pour amortir ta chute. Ce n'est pas que tu ne fais pas confiance à la Gardevoir, mais deux sécurités sont toujours mieux qu'une seule.

Il fait noir. Tu lèves les yeux vers le ciel, et tu peux constater que le ciel est bleu et que le soleil brille. Mais ici, en contrebas, la pénombre règne sur les lieux et tu es incapable plus loin que quelques mètres devant toi. Tu n'as cependant pas le temps de vérifier si les autres voient -ou plutôt, ne voient pas- la même chose que toi, que le vent se lève, de plus en plus fort, te forçant à détourner le visage et fermer les yeux pour t'en protéger un peu. En les rouvrant, ta dragonne est le seul pokémon encore présent sur les lieux, sans même que tu ne comprennes comment ni pourquoi. Muse ? Elle tourne la tête vers toi, et tu peux lire dans son regard qu'elle n'en sait pas plus. Tu essaies de libérer à nouveau ton Noctunoir, mais rien n'y fait, sa pokéball semble bloquée et les étrangetés qui s'accumulent commencent à t'inquiéter. Devriez-vous faire demi-tour ? Non, vous n'êtes pas venus jusqu'ici pour repartir maintenant : vous êtes venus à la rencontre de ces phénomènes. Et la rencontre est brusque.

Les poils de tes bras et de ta nuque se hérissent de concert, réaction instinctive face au danger imminent, sans même que tu ne comprennes pourquoi. En réalité, ton corps s'écroule avant même de ressentir quoi que ce soit. Tes yeux perdent le focus et, même s'ils sont ouverts, ne transmettent plus la moindre information à ton cerveau. Un unique souffle fait se vider tes poumons et, pendant un court instant, tu perds tes repères et tu as l'impression de flotter, tel un astronaute en apesanteur. Puis, tes genoux heurtent le sol. Et soudain, tu comprends pourquoi ton corps s'est affaissé sans que tu ne sentes quoi que ce soit : ton système nerveux n'était tout simplement pas en mesure de transmettre l'information, ou ton cerveau ne parvenait ni à gérer ni à digérer l'information. Enfin, comme un frisson qui traverse tout ton corps, la douleur se fait enfin ressentir, se répand dans chacune des fibres de ton être et t'arrache un cri de souffrance qui ne parvient même pas à atteindre tes lèvres, étouffé et étranglé dans ta gorge serrée par le manque d'air et la violence de cette pulsation qui t'a parcouru.

Enfin, la douleur disparaît comme elle est venue. Comme un battement de cœur, comme une onde de choc, comme le souffle d'une détonation ; déjà, tu ne sens presque plus rien. Tu parviens à le relever le regard, pas encore à te redresser, mais au moins à bouger la tête les bras. Bras qui, par réflexe, se tend dans la direction vers laquelle tu penses que provient cette voix. Cette voix que tu entends depuis plusieurs secondes sans réussir à l'identifier, sans parvenir à comprendre les mots qu'elle prononce. Cette voix qui t'attire, te plaît plus que tout, éveille tes sens davantage que quoi que ce soit d'autre ; et qui te parle, à toi et à ton pokémon. À vous deux uniquement, sans doute, puisqu'en tournant la tête vers tes comparses, tu réalises que personne d'autre ne s'est tourné dans cette direction, que les deux femmes du groupe ont l'air tout bonnement horrifiées par autre chose. Une chose que tu n'as pour ta part ni vue ni entendue, trop occupé à te faire jeter au sol par une force invisible et à la fois imperceptible et inarrêtable.

Mais tu ne t'occupes pas de ce qui inquiète les deux belles demoiselles. Tu ne t'occupes pas de ces deux hommes restés de marbre face à tout ce qui s'est soudainement produit, en seulement quelques instants. Tu ne t'occupes que de cette voix que tu entends enfin clairement, cette voix puissante, qui résonne dans tout ton être, cette voix aussi implacable que la douleur qui, fort heureusement, s'est estompée et te permet de te relever, motivé par la vue de ta Ékaïser qui, déjà, s'éloigne dans la direction de cette voix aussi immensément effrayante qu'exceptionnellement grisante et ensorcelante, parce qu'elle a déjà fait son choix. Fuir ou approcher ? La question ne se pose même pas une seconde dans ton esprit, tant la réponse est limpide à tes yeux : ces mots te sont destinés, cette voix s'adresse à toi, cet appel t'est destiné. Et vous êtes là pour mieux comprendre ce qui se trame ici, il serait dommage de rebrousser chemin. Il y a quelque chose par-là. J'y vais, préviens-tu simplement tes comparses à demi-voix, plus pour les informer que pour leur demander de te suivre, sans t'inquiéter de savoir s'ils se mettront en marche à ta suite ou non. Seule cette voix t'intéresse à présent, il n'y a plus qu'elle dans ton esprit, et ton envie de savoir à qui elle appartient.

Alors, sans avoir besoin d'y réfléchir, tu emboîtes le pas à Muse, présence rassurante qui est la seule à pouvoir comprendre ce que tu as entendu et ressenti, t'élançant d'un pas décidé bien qu'encore un peu douloureux. Ton corps entier s'est tendu face à la douleur, chacun des muscles de ton corps s'est contracté alors que tu t'écroulais, et tes premiers pas te font un peu mal, comme lorsqu'on se lève le matin avec des courbatures et que commencer à marcher provoque une gêne pendant quelques instants, jusqu'à ce qu'on s'y habitue. Sûr de toi malgré ta démarche mal assurée, tu t'avances alors vers l'obscurité, le silence et le froid. Parce que tu as froid, sans savoir comment c'est possible sous le soleil de plomb qui frappe le désert. Est-ce parce que ce que tu viens de vivre te glace le sang ? Tu es aussi terrifié que tu meurs d'en savoir plus, comme tu as eu l'impression de mourir de douleur plus tôt.

Une guerre de volonté se joue en toi : ton ventre te fait mal comme si tu étais immensément stressé alors que ton cœur bat à tout rompre, comme lorsque l'on est amoureux ou effrayé, difficile de trancher. Ton esprit tout entier est empli du conflit entre instinct de préservation et désir brûlé de rencontrer cette voix. Et si un pas te demande un effort considérable par vaincre l'effroi semblable à la phobie d'un jeune enfant, le suivant s'enchaîne aussi naturellement et avec autant d'entrain que si tu marchais pour rejoindre l'amour de ta vie. Tu n'es absolument plus sûr de ce que tu ressens, de pourquoi tu te comportes ainsi. Tu as l'impression d'être un étranger dans ta propre peau, de n'être que le témoin entre la lutte de ton corps qui avance avec envie tandis que ton esprit lui hurle sa peur et son besoin de faire demi-tour. Et tu es là, avec comme seul repère le bruit régulier des pas de ta dragonne qui marche devant toi, en n'ayant plus la moindre certitude ni sur ces lieux, ni sur toi-même.