Mino salua brièvement Pacheco et son diplomate, son attitude toujours aussi froide et sérieux – mais au moins, Gento avait l’avantage d’être habitué au comportement de la sénatrice de Nepthe. L’entrée fracassante du président du conseil lui avait presque arraché une grimace plus tôt. La jeune femme semblait toutefois chercher la temporisation, elle aussi, dans un premier temps. « Rassurez-vous, c'est avec plaisir échanger des informations sur le sujet, ceci ne peut qu'aider nos deux pays », assura-t-elle. Difficile de dire si Rowena était vraiment d’accord avec cette affirmation, mais Gento ne pouvait nier les efforts de la sénatrice pour apaiser la tension dans la pièce. « Nous espérons que notre accueil et notre pays continuent de vous faire plaisir, reprit-elle d’un air protocolaire avant de se présenter au président, je suis Mino Valentine, représentante de la région centrale de l'Empire, présente aujourd'hui pour assister sa Majesté l'impératrice. »

Le regard de l’impératrice, justement, sonda les deux nouveaux arrivants, plus glacial encore que les pics de la Pointe d’Artikodin. Gento ne s’était pas attendu à un accueil des plus chaleureux, ainsi se permit-il de ne pas y réagir outre-mesure. Visiblement agacée par l’outrecuidance du président palérien, Rowena fit connaître son mécontentement. « Pacheco, ne me fais pas perdre mon temps, asséna-t-elle sèchement, je préfère que tu ailles droit au but. Tu as demandé une audience, que veux-tu ? » Elle ne semblait pas intéressée par les discussions en cours.

Javier sembla se reprendre… Mais le regard amusé qu’il lança au diplomate le fit presque frissonner. Gento détestait ne pas savoir à quoi s’attendre, et Pacheco était un parangon d’imprévisibilité. « Oui oui, l'ordre du jour, répondit-il distraitement, économie internationale, investissement, ranger et pour finir… Callero. » Son sourire sembla s’élargir, alors qu’un silence de mort retomba en quelques secondes dans la salle. Loin de s’en inquiéter, le président du conseil prit cela comme une bénédiction pour continuer, s’adressant directement à Rowena. « Je vois ta tête, mais je ne suis que le représentant d'un pays qui se fait du souci pour son voisin. Je ne sais pas si tu es au courant, Rowena, mais les autres pays s'inquiètent, beaucoup. Ils voient bien le chaos qui grondent… Il y avait le cataclysme, maintenant les révolutionnaires, la population maltraitée, et les autres histoires vous savez bien... » Gento ne pouvait même pas savoir s’il bluffait ou non, concernant les « autres histoires », et ne pouvait pas se permettre de clarifier la situation avec le président au vu et au su de tous, dans cette pièce. Il aurait aimé pouvoir être prévenu afin de ne pas se retrouver en porte-à-faux de cette situation, mais le fait était que Pacheco agissait avec beaucoup d’impulsivité, et semblait avoir un plan bien défini en tête. Ce qui agaçait d’autant plus le diplomate était que les informations qu’il avait relayées avaient été très précieusement gardées. Pacheco avait donc envoyé ses propres agents en territoire impérial. Cela s’annonçait compliqué. Et le regard bouillonnant de Rowena le confirmait.

« Les marchés s'inquiètent, la bourse est frivole et l'empire a bien besoin d'un ami pour plaider sa cause, mais il faudrait que je sache ce qu'il se passe, voyez-vous… et que l'on me donne l'envie d'aider », reprit le président du conseil, après un nouveau regard lancé à Gento. Ce dernier soupira silencieusement, de façon imperceptible. Le voilà jeté aux chiens, à devoir défendre les intérêts d’un président qu’il ne soutenait pas, sans avoir même eu le droit à une concertation au préalable. Cela n’aurait été qu’un contretemps ennuyeux, si la guerre ou la paix entre deux nations puissantes n’étaient pas à la clé de cet entretien. Par réflexe, il posa une main sur la tête de la Leveinard qui l’accompagnait, oubliant encore une fois l’absence de Chrysanthème à ses côtés. « Ça s'applique à vous, mademoiselle la sénatrice, comme vous l'avez dit, "échanger des informations ne peut qu'aider". » L’invitation était évidente, et ne manquerait pas de provoquer Rowena. Gento savait d’autant plus que si Mino n’osait rien dévoiler à un représentant de Palera, elle risquait encore moins de s’ouvrir au président de la République, en présence de l’impératrice maestonienne.

Le diplomate coula un léger regard en direction de Mino ; il savait bien que les charmes du président resteraient sans effet sur la jeune femme, mais il craignait un peu que la situation ne dégénère tout de même. « Ah pardon, mon petit Gento, je te laisse la main, conclut-il, sa voix trahissant une forme d’amusement, je n'ai pas envie de saper ton formidable travail. »
« Trop tard » resta pendu au bord de ses lèvres, sans jamais sortir.

Gento avait toujours su un jour qu’une situation compliquée se présenterait, et qu’éventuellement, celui qui serait jeté aux chiens, ce serait lui, l’intermédiaire. Après tout, le messager est toujours celui qui prends le plus de risques. Le diplomate regagna son calme et son sérieux habituels, se détachant du Pokémon offert en soutien, pour soutenir le regard de la petite assemblée devant lui.

« Ahem, commença-t-il, s’éclaircissant la voix pour se donner une contenance, il est vrai que Palera s’inquiète beaucoup pour Maeston suite au Grand Cataclysme, encore plus récemment suite à l’apparition du mouvement révolutionnaire. Je tiens également à préciser que j’étais présent à Castra Nicia le 31 octobre dernier. Malgré les grands efforts que vous avez faits pour rassurer la population, de nombreuses rumeurs circulent encore, créant une faille supplémentaire, que, vous n’êtes pas sans l’ignorer, nombreux sont prêts à exploiter considérant la situation. » Ce n’était qu’un récapitulatif des faits. Gento n’entra pas dans le détail des événements étant survenus le 31 octobre. Rowena et Mino étaient au courant. Quant à Pacheco, s’il comprenait, il comprenait. Autrement, le diplomate ne comptait pas élaborer. Au vu de la position du président, il ne comptait pas lui donner une faille de plus à exploiter.

« Puisque Palera a décidé d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi d’énoncer le peu que j’ai pu voir de mon court séjour en votre empire, Votre Majesté, s’adressa-t-il directement à Rowena, rassemblant son courage, j’y ai vu la population callérienne désœuvrée, tiraillée entre sa loyauté envers l’Empire, et l’indifférence visible dont vous faites preuve à son égard. Cela a permis à la Révolution de prendre racine dans leur cœur. Pourtant, dans votre grande magnanimité, vous n’avez pas condamné les membres du Mouvement de Libération mais bien uniquement ceux qui se présentaient comme des traîtres envers l’Empire. » Encore une fois, c’étaient les faits ; cela lui donnait une certaine contenance, car il aurait été difficile pour qui que ce soit dans la pièce de réfuter les choses ici. « Permettez-moi une question, Votre Majesté, et pardonnez mon impudence, car j’aurais aimé vous la poser dans d’autres circonstances. Que représente Callero pour vous ? Pourquoi ce peuple, qui n’a pourtant que cherché à vous embrasser pendant tant d’années, est délaissé à vos yeux ? Vous avez chassé Palera qui leur fournissait l’aide nécessaire pour survivre, et voilà bien l’origine de nos griefs et l’une des raisons pour laquelle Monsieur le Président se présente ici à vous. Un regard discret fut coulé en direction de Pacheco. Au fond de lui, une prière silencieuse partir pour que le président du conseil se taise, le laisse parler, ou à minima comprenne qu’il ne venait pas dans l’optique de démarrer ouvertement un conflit. Qu’il ne « sape pas son formidable travail » comme il le disait lui-même si bien.

« Palera s’inquiète pour Callero, et nous ne vous le cachons pas, car vous le savez ; l’Histoire vous a montré que Palera et Callero ont toujours su être proches dans la difficulté. Mais l’ambition de la République n’est pas d’arracher la région du Sud à vous par la force, simplement de s’assurer du bien-être de sa population. Nous sommes dans l’incompréhension de la situation ; Pourquoi reprendre Callero s’il s’agit d’abandonner le peuple et de laisser la graine révolutionnaire se glisser insidieusement dans votre empire ? »

Callero était le sujet qui piquait à vif les deux parties. Mais Gento était bien plus à l’aise de marcher sur ces œufs-là que d’aborder les rumeurs au sujet de la Menace Obscure. « Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de récompenser Callero pour la loyauté dont elle a fait preuve depuis tant d’années, de déraciner la révolution qui gronde à vos portes ? Peut-être avez-vous la force de la combattre, mais pensez-vous que le peuple vous considère toujours aussi magnanime ? L’empire rayonne comme une étoile parmi les autres nations. Pensez-vous que votre réputation et votre stabilité restera incontestée si vous poursuivez sur cette voie ? » Les questions étaient tout simplement sincères. Gento était curieux du point de vue de l’Impératrice concernant Callero. « Parfois, un peu de clémence est la meilleure des options. Ne pensez-vous pas que cela réaffirmerait la loyauté de Callero, s’ils se voyaient octroyer des droits dignes de n’importe quel citoyen maestonien ? Vous avez le pouvoir de les rallier à vous, les embrasser comme les vôtres, ou de laisser Edward Silverlake le faire. »

Il savait Maeston très fier, mais parfois, concéder était la seule façon d’avancer ; loin d’être une défaite, cela ne garantirait que de futures victoires. Gento ne souhaitait pas s’inviter comme ennemi, mais bien comme allié. Pacheco et lui avaient au moins cet objectif commun ; même s’il savait que le président avait d’autres idées en tête. « Les callériens ont été exclus des équipes d’arène, et forment désormais un groupe illégal pour manifester leur mécontentement. Nombreux sont ceux qui n’adhèrent plus à l’Empire car leur voix n’est plus écoutée. » Les faits, toujours les faits.

Il coula un léger regard en direction de Mino, sondant sa réaction. Il n’osa pas mentionner Nepthe, de peur de mettre la jeune femme dans une situation délicate. « Ne serait-il pas plus simple pour vous de reconnaître les Callero Raiders, et d’accorder un siège au Sénat représentant la région ? » Une demande bien hardie, mais Gento savait que, Callériens ou non, l’Empire saurait s’emparer des talents révélés par le système d’équipe. Reconnaître l’équipe permettrait une meilleure surveillance, là où tout pouvait arriver si Rowena n’avait pas la main sur les affaires des Callero Raiders. Quant au Sénat… Il avait bien compris en côtoyant Mino et Juniper. Callero ne serait pas plus écouté qu’avant. Mais cela aurait au moins l’effet d’un premier pas destiné à apaiser les tensions. « Palera vient, comme le dit Monsieur le Président malgré sa maladresse, en tant qu’amie de Callero, et en tant qu’amie de l’Empire. »

Sans rien laisser paraître, Gento se tourna vers Javier, l’air toujours aussi sérieux et sévère. « Quant aux marchés, je préfère laisser Monsieur le Président élaborer sur le sujet ; il semblerait que cela soit son expertise. »

Gento profita de la pause bien méritée. Autant parler l'avait épuisé. La Leveinard avait commencé à diffuser un Aromathérapie subtil pour l'aider à reprendre son souffle, et le diplomate la remercia d'un regard. Il se rassit calmement, prêt à essuyer le chaos qui suivrait ces paroles.