Il m’a fallu un mouvement à mes pieds pour que je l’remarque. Un mouvement soudain, quelque chose de vif, et je l’vois, juste là, par terre, le bout d’ma pompe à quelques centimètres de sa coquille. Un mouvement de recul, peut-être trop précipité, et c’est mon corps tout entier qui bascule vers l’arrière. Je tombe. J’ai le cul encore dans la boue, le visage qui tombe un peu à la renverse, et les cheveux qui m’bouffe le front et les yeux, et ça suffit à m’déclencher un rire. Un rire peut-être fou, un rire nerveux, un rire qui remonte tout le long d’mon estomac pour s’propager un peu dans le vent. Je l’écoute qui qui se promène et qui s’repend, et il conquiert l’entièreté des marécages, il remplit tous les espaces entre la tendresse du sol et l’acier du ciel, et il ne revient pas. C’est comme s’il s’étirait en onde et qu’il se tirait pour de bon, lui aussi, au volant d’une vieille berline dont l’pot d’échappement pétarade un peu. C’est comme si je commençais à fatiguer de cette journée. Et quand j’parviens à reprendre un peu d’ma respiration, j’en reviens à ce Nœunœuf qui me dévisage. Comme si j’étais un dément, un autre taré de plus qui rôde dans les parages, et il n’aurait peut-être pas tellement tort. « Désolé, que j’commence à articuler entre deux souffles pour m’canaliser, je… la journée, elle a été assez dingue… » Et je n’sais même pas vraiment s’il comprend ce que je lui raconte, mais je reste là. Assis par terre, n’ayant plus l’air de rien, et fouillant dans l’fond d’une poche de mon jean, pour en tirer mon paquet d’cigarettes, et en allumer une tout en continuant d’lui causer. « J’voulais vraiment pas t’faire peur, que je rajoute, je suis désolé, c’est simplement que j’suis tombé sur… un énergumène chelou qui a réussi à m’coller les miquettes. Pourtant, je suis plutôt habitué aux délires bizarres, mais là, j’avoue, j’ai fuis comme un gros lâche… » Je soupire, et il y a un fin nuage d’une fumée grisâtre qui s’échappe d’entre mes lèvres, pour s’perdre, lui aussi, un peu dans l’atmosphère.

L’endroit est calme, paisible. Tout retombe un peu, autour de moi, à l’intérieur de moi. Et c’est peut-être bien parce que je suis là, comme lui, comme ce Nœunœuf, assis par terre, et planqué dans les herbes un peu haute et la boue. La cigarette, elle se consume doucement, et tout devient un peu cendre. J’emplis mes poumons d’une crasse épaisse, et pourtant, je respire un peu mieux. Et cette pensée stupide m’arrache un sourire, avant que j’reprenne un peu ma discussion avec ce pokémon que j’ai manqué d’faire éclater du plat d’mon pied. « T’as l’air plutôt cool toi, je sais pas si tu m’écoutes vraiment ou si tu fais semblant, mais, qu’importe, ça te dirait d’venir un peu à l’aventure avec moi ? » Je penche la tête sur l’côté, comme pour l’interroger, et je m’dis qu’il pouvait qu’avoir l’air cool, celui-là, après l’Excelangue que je venais d’fuir. Mais qu’importe. Peut-être également qu’la compagnie d’un autre pokémon plante ferait du bien à Butch. C’est que le Chevroum n’a toujours pas vraiment l’air dans son assiette après les évènements d’la fin Octobre. Alors j’hausse un peu les épaules, en lui montrant une pokéball, au Nœunœuf, avant d’la faire rouler vers lui.