Il était allongé là, dans sa chambre, plongée dans l'obscurité. Sa tête semblait lourde, comme si quelqu'un y avait enfoncé un pic de plomb. Chaque pensée, chaque tentative de réflexion, était comme une aiguille enfoncée dans son cerveau. Il essaya de bouger, mais ses muscles étaient engourdis, comme s'ils avaient été remplacés par du coton. Une vague de vertige le submergea alors qu'il essayait de se redresser. Il referma les yeux, essayant de reprendre son souffle.

Ce n'était qu'une formalité. Non. Tout cela avait été bien plus difficile à gérer qu'une simple formalité. Arsène s'était retrouvé dans une arène de combat contre son gré, sans entraînement, sous le regard impitoyable de son père. Il fallait bien l'avouer, il avait même apprécié l'activité, alors qu'il commençait enfin à en comprendre les rouages. Et contre toute attente, il avait remporté son combat. Il avait gagné ce défi. Il avait obtenu ce foutu badge, cette pièce de métal qui n'avait de valeur qu'aux yeux de son paternel. Et comment cette journée s'était soldée? Par des plaintes. Des reproches. Des cris. Un malaise.

Le temps semblait s'étirer, perdre toute signification. Combien de jours étaient passés depuis qu'il s'était retrouvé dans cet état? Était-ce des jours, des semaines? Il n'en avait aucune idée. La douleur était constante, lancinante. Chaque battement de son cœur semblait résonner dans tout son corps. La faim et la soif le tourmentaient, mais il n'avait ni la force ni la lucidité pour y penser sérieusement. Son esprit se mit à divaguer. Des souvenirs fragmentés surgissaient, des visages, un lieu, une altercation. Mais tout était flou, comme si quelqu'un avait brouillé les images. Il essaya de se concentrer sur ce seul souvenir, de le démêler de la nébuleuse de sa confusion mentale, mais il glissait entre ses doigts comme du sable.

Un bruit du grattement contre la porte s'insinuait, presque subliminal au début, mais devenant de plus en plus insistant. C'était un son que le brun aurait pu aisément ignorer, un simple bruit de fond qui aurait pu se perdre dans les méandres de ses pensées. Cependant, à mesure que le temps passait, ce bruit se transformait en une mélodie lancinante de l'insatisfaction de son compagnon d'infortune. L'absol avait été enfermé à l'extérieur, encore une fois. À nouveau, il était incapable d'accomplir sa tâche de pokémon d'assistance. La porte portait les stigmates de ses griffes, la poignée celle de ses crocs. Il lui aurait suffit d'un simple coup de corne pour simplement se frayer un chemin jusqu'à la chambre de son maître. Mais celui-ci était si exténué, qu'une action du genre ne ferait bien qu'aggraver la situation. Alors Reichenbach se contentait d'implorer, d'espérer.

Le brun s'était plus que jamais renfermé sur lui-même. Il était arrivé à un stade où même sa chère soeur n'était plus digne de mettre un pied chez lui. Pas parce qu'il lui en voulait, c'était bien là le contraire. Il avait la rage contre le monde, contre cette vie qui s'acharne et lui arrache son moindre instant de bonheur pour le changer en supplice. Il avait posé une pain sur sa poitrine, alors que son coeur s'emballait. Il avait mal, si mal. Comme si l'organe était sur le point d'exploser. Le bouclé pouvait entendre l'absol s'agiter, désespéré de ne pas pouvoir lui apporter son soutien. Mais il n'était pas en état de le recevoir, lui non plus. Tout comme Callie, Rei devait rester à l'écart. Ce n'était pas à eux de supporter sa rage.

Il avait beau faire des efforts, essayer d'aller mieux, rien ne changeait jamais. Arsène n'était qu'un incapable, un corps meurtri jusqu'au plus profond de son âme, qui n'était pas autorisé à guérir. Il esquissait un sourire amer, presque moqueur contre lui-même. Finalement, il avait bien eu raison, et Olivia avait eu tort. Il n'y avait plus rien à sauver. Il n'était bien qu'une cause perdue. La douleur dans sa poitrine se faisait plus forte encore alors qu'il se mit à penser à elle. Si puissante qu'elle faisait dysfonctionner ses poumons, le faisant presque étouffer. Dans un mouvement erratique, il avait tatonné pour trouver le tiroir de sa table de chevet, et en extirper une boîte. Des somnifères. Mais dans son état, il en faisait une consommation plus qu'excessive. Donc, c'était sans grande surprise, mais avec beaucoup d'agacement, qu'il jetait le paquet, complètement vide, de l'autre côté de sa chambre.

La demeure qui avait autrefois résonné des aboiements joyeux d'une multitude de chiens était maintenant enveloppée dans un silence déconcertant. Il ne restait aujourd'hui plus que l'absol. Ce n'était qu'une mesure temporaire, bien sûr. Ce n'était qu'une précaution. Il avait laissé à sa soeur toutes ses pokéballs, juste le temps pour lui de se reposer un peu. Il n'en aurait pas pour longtemps. L'homme savait que ces jours de solitude n'allaient pas durer, il avait simplement besoin d'un peu de calme. Mais le temps semblait étrangement élastique. Arsène essaya de trouver son téléphone, étendant son bras vers la table de chevet dans une recherche hésitante. Finalement, il se souvint avoir laissé son téléphone ailleurs, incapable de supporter les sonneries incessantes qui avaient perturbé le silence.

Soudain, il entendait de l'agitation hors de sa chambre. Les grattements laissaient place à un son rapide dans les escaliers. Reichenbach avait été interpellé par quelque chose en bas, et était descendu à toute allure. Arsène pestait déjà. Il ne voulait voir personne, n'avait-il pas été suffisamment clair? L'homme se redressait non sans peine, son corps engourdi par ces jours de jeûnes et son manque de sommeil plus qu'évident. Il traînait les pieds jusqu'à l'entrée de sa chambre, appuyait sur la poignée avec son coude, et ne passait que la tête à l'extérieur.

— N'ouvre pas.

Il voyait déjà Calliope, pleine de toutes les meilleures intentions du monde. Et lui, aigri et misérable, allait éteindre cette étincelle d'empathie avec sa colère mal placée. Il allait peut-être même exploser, la chasser avec violence de sa caverne. Elle ne méritait pas ça. C'était bien pour cela qu'il ne voulait pas la voir. Mais Callie était têtue, et il s'attendait à tout moment à la retrouver sur le palier de sa demeure. Ce jour-là était ainsi arrivé, visiblement. Alors qu’il entendait l’absol gratter la porte pour l’ouvrir, Arsène lui intimait une nouvelle fois de laisser leur invité imprévu là où était sa place: dehors.

— Rei, n'ouvre pas!

Trop tard. Le brun avait reconnu le grincement de sa porte d’entrée. Frustré, il avait frappé le mur de sa chambre, avant de regretter amèrement son geste. Son corps entier s’était mis à trembler à cause de la douleur. Il sentait les larmes lui monter aux yeux, le sang saler sa salive alors qu’il avait mordu sans retenu sa lèvre pour ne pas hurler. En temps normal, il aurait fait en sorte d’être présentable pour accueillir sa soeur, mais là, c’était bien au-dessus de ses forces. Cela faisait quelques jours qu’il ne faisait même plus l’effort de quitter son pyjama, et se contentait d’enfiler par-dessus un peignoir en satin. Un tissu assez léger et volatile pour dissimuler le fait que son corps déjà svelte ne s’émaciait que plus encore. Le brun n’avait même pas rasé sa barbe: si elle n’était pas encore trop remarquable, c’était déjà exagéré pour cet homme qui se rasait d’ordinaire à blanc. Ses boucles brunes tombaient mollement sur ses yeux clairs, comme pour dissimuler toute la fatigue qui en transparaissait. Et voilà que, dans cet état lamentable, il devait accueillir quelqu’un chez lui.

En bas, Reichenbach était resté immobile un instant. Comme s’il avait eu du mal à faire confiance à son propre instinct. Mais non, il ne s’était pas trompé, il ne se trompait jamais. C’était le docteur Sullivan. Olivia. Avec son éternel regard impassible. Mais l’absol pouvait sentir son inquiétude sous-jacente. Peut-être… pourrait-elle aider son maître? Il était différent, avec elle. Il avait des sentiments bien particulier pour elle, même s’il ne voulait pas l’assumer. Il fallait essayer. Il devait trouver une solution pour sauver son dresseur. Le pokémon désastre s’approchait d’elle, la saluant brièvement avant de passer derrière elle pour la pousser à rentrer. Il s’efforçait d’être délicat, Rei ne voulait pas la brusquer. Il geignait, posait doucement ses crocs sur sa main pour l’attraper sans la blesser. Elle devait le suivre. Il lui montrait l’escalier qui menait à l’étage. Tout en jetant moult regards en arrière pour s’assurer que la thérapeute soit toujours sur ses talons.  Et quand enfin ils arrivaient devant la porte entrouverte de l’homme, l’absol la laissait passer d’abord.

— ... Olivia...?

Arsène était en train de délirer. Il était forcément en train de délirer. Elle ne pouvait pas être là. Il perdait l'équilibre. Alors, avant de ne chuter trop dangereusement, il laissait son corps s’affaisser pour s’asseoir sur le bord de son lit. Il n’était pas en état d’être un bon hôte. Il n’était même pas dans un état décent. Elle n’aurait jamais dû le voir ainsi. Il mourrait de honte.