Machinalement, tu fredonnes une mélodie dont l’origine t’échappe, mystérieusement. Tes doigts passent sur le marbre des pierres tombales, maculés de mousses pour les moins bien entretenues. À tes yeux, il est clair que tu es victime d’un Taedium Vitae, une sorte de fatigue chronique de la vie, une crise intérieure généralisée, sans cause identifiable. Tu abordes ce constat l’esprit léger, le regard clinique sur cette situation qui est la tienne. Le lieu qui tu arpentes se prête au vague à l’âme, la Nécropole t’avale toute crue et tu n’es y plus qu’une ombre parmi tant d’autres, à évoluer en son sein.
Le fond de l’air est frais, tu souris, paisiblement. Tu marques une pause dans ta progression. Tu n’as rendez-vous qu’avec toi-même aujourd’hui, pas la peine de presser le pas, tu peux te permettre d’y arriver avec un peu de retard. Cette pensée t’arrache un sourire plus éclatant encore. Tu as toujours détesté les marques visibles de joie dans les cimetières, comme tu y détestes voir des enfants. Tu te remémores ces gens que tu n’auras jamais connus qu’à travers leurs photos ou des paroles de proches encore en vie.
Tu ne prêtes pas aux morts une seconde vie, mais c’est bien ici que tes parents demeurent à jamais. Tu remontes cette allée, où le gravier se souvient de la forme de tes pieds. Ton sourire se brise quand tu revois ce modeste mausolée, le visage mordu par un rictus de douleur. La tristesse te gagne peu à peu, tu n’y résisteras donc jamais, même après toutes ces années ? Tu les blâmes, eux qui en mourant, t’auront abandonnés et surtout, tu te détestes de ne pas parvenir à vivre les choses autrement. Mais, si tu dois être honnête et tu te le dois, c’est bien ce que tu ressens.
La senteur du Davidia Involucrata inonde la petite place. Il prend racine aux abords du caveau familial, tu as toujours aimé penser que ses mouchoirs étaient les présents de tes aïeux dont il se nourrit. Le vent se lève, au moment où naît le point du jour. Quelques fleurs se détachent et emportées par la brise, c’est comme si l’arbre pleurait avec toi. Tu essuies rapidement les perles aux coins de tes yeux et t’attelles à l’ouvrage, elle ne s’entretiendra pas toute seule, cette tombe.
Armée d’une brosse à poil dur, d’un arrosoir et d’un sécateur, tu entends redonner un peu d’éclat à ton passé, à jamais inconnu. Tu tailles quelques branches en piteux état des plumbagos et décides de t’attaquer à la clématite. Elle aura, au fil des ans, réussit à courir jusqu’au tympan du mausolée. Tu prends appui, d’un pied, contre une pierre de l’édifice pour te hisser à la bonne hauteur, dans un numéro d’équilibriste improvisé, quand un bruissement attire ton attention.
C'est un petit fantyrm, curieux, que tu peux voir apparaître près de toi. Il s'apprêtait à te jouer un mauvais tour avant de se raviser, se disant que tu n'as peut-être pas besoin de ça pour le moment. Alors il se contente de s'approcher doucement, l'air de se demander si tu vas bien ou si tu as besoin d'un peu de compagnie.
C’est un Fantyrm ! Tu lui adresses un faible sourire, tu as pour coutume de laisser des offrandes sur cette tombe et bien que tu le fasses en mémoire de tes ancêtres, tu te doutes bien qu’ils servent à nourrir les habitants des lieux, une fois que tu as le dos tourné. Tu as beau être un bon petit pion de l’Empire, convaincue et endoctrinée à souhait, tu as toujours considéré les pokémons spectres un peu à part. Tu les traites avec beaucoup plus d’égard et de respect que les autres, qui sait, sont-ils les réincarnations d’un ami, d’un héros ou d’une crapule ? Tu n’es pas plus superstitieuse que cela, mais on sait jamais. Dans le doute, autant ne pas s’attirer les foudres de créatures capables de traverses des surfaces tangibles.
Tu tailles précautionneusement les quelques branches fatiguées que tu avais repérées et tu descends de ton perchoir dans un bon silencieux. « Bonjour, je m’appelle Dvora. J’espère ne pas t’importuner. » Si l’on y réfléchit bien, c’est bien toi qui es entrée dans son territoire et pas l’inverse. « Je voudrais simplement donner un coup de neuf à ce mausolée et je m’en irai. » Tu t’approches de tes affaires et dans ton sac, farfouilles un instant. Tu bouscules un bouquet de lys blanc et finis par mettre la main sur l’objet de ta recherche. « Tu en veux ? » Lui demandes-tu, un bonbon déjà au bord des lèvres.
On t’a dit que ça aurait été les préférés de ton père, des dragées pralinés. Tu lui proposes également quelques framboises de ton autre main, ne sachant pas ses goûts. Ultimement, tout leur reviendra de toute façon, on n’est plus à ça près. En revanche, un détail te chiffonne. Est-ce que c’est l’aurore qui te joue des tours ou bien est-ce que ce drôle de fantôme arbore des couleurs inhabituelles ? « Si tu t’ennuies, tu peux m’aider, j’aurais bien besoin d’un coup d’main. » Tu conclus ta phrase en croquant en beau milieu du dragée avec gourmandise et le dégustes scrupuleusement.
Il hoche de la tête, acceptant volontiers ce bonbon qu'on lui offre ! Quant à aider... C'est un peu un flemmard, tu vois. Donc il s'allonge quelque part et t'observe. Voilà. Tu peux continuer, il ne t'embêtera pas ! Mais il ne t'aidera pas non plus.
Le Fantyrm accepte ton présent. Le sourire que tu lui tends se veut un peu plus intense, mais il est toujours teinté d’une profonde mélancolie. De sa pokéball, tu libères Osme, qui, en découvrant le lieu, comprend de quel jour il s’agit. Ce sera donc un jour sans pour sa dresseuse et pour elle. Elle pose son regard sur le tympan où siègent triomphalement les deux noms accolés « Feinstein – Fried ». La lecture de la plaque portant la mention des morts enterrés ici lui fait monter les larmes aux yeux. Même pour Osme, d’ordinaire si froide, si impitoyable, la simple vue du nom de sa maîtresse, Théodora, est encore une meurtrissure que son cœur n’arrive pas à oublier.
« Pardonne-moi, j’aurais dû te prévenir… » Tu t’excuses à ton pokémon, quel sens cela peut-il avoir de présenter ses excuses à un marteau ? Tu ne le sais pas, tu ne comprends pas, mais au fond, tu souffres et tu sais qu’elle aussi. Tu t’agenouilles à ses côtés, démunie par sa peine, tellement plus que par la tienne. Tu voudrais pouvoir lui demander comment était cette mère que tu n’as jamais connue, mais tu ne peux pas. Tout au plus, tu te souviens qu’avant ton service militaire, tu avais déjà connu une phase d’incertitudes dans ta vie et que lorsque tu avais questionnée la Mysdibule, elle n’avait pas réagi, secrète comme à son habitude.
On dit parfois de toi que tu lui ressembles, mais tu n’arrives pas bien à comprendre pourquoi, en photo. Alors, tu voudrais le lui demander à elle, mais comment diable pourrait-elle te le dire ? Elle ne dispose que de son point de vue limité de pokémon et d’aucun mot de vocabulaire. Elle ne parle qu’en attitude et en grommellements sourds. Tu ne peux rien tirer de tout ça. Rapidement, Osme, qui dispose tout de même d’une grande force de caractère, se ressaisit. Elle reporte son regard sur toi et tu peux lire d’indignation dans ses yeux. Elle veut peut-être te faire comprendre que tu ne dois pas t’épancher ainsi en sentiments, jamais. Mais tu devines que cela se veut tendre, tu ne saurais pas le dire autrement, ça tient peut-être dans un plissement de peau sur son front ou sa mâchoire un peu trop serrée.
Cependant, tu obtempères à cet ordre silencieux et éclairci ta voix à plusieurs reprises avant de claquer tes cuisses et de te relever. « Bon… Tu pourrais aller me chercher de l’eau pendant que je continue la taille ? On a dû nous voler le dernier vase, j’arrive pas à remettre la main dessus, n’hésite pas à en récupérer un sur le chemin. » Tu sais pertinemment que ça ne se fait pas, mais après tout, on a dû t’en tirer une bonne dizaine avant de réaliser que de toute façon, tout le monde le faisait. Aujourd’hui, on ne t’y prendra plus, puis sur le lot, d’ici qu’Osme te rapporte un des tiens. Tu chipes un couple de framboises que tu fais disparaître aussitôt, lançant un regard vers le Fantyrm, tu marques un temps de réflexion.
Puis décide de laisser la poche de framboise sortie et en laisse quelques-unes rouler sur une nappe de pique-nique posée au sol. Tu souris à ce funeste compagnon, il est réellement charmant. L’idée te vient de le prendre en photo pour immortaliser ses couleurs chatoyantes sous le lever de soleil. Il n’a pas l’air de compter répondre à ta sollicitation de toute à l’heure. Il est bien faignant, mais ça ne l’empêche pas d’être à croquer.. « Say, cheeeeeeeese » Tu éclates de rire quand tu vois sa tête déconfite, c’est vraiment le rayon de soleil de ce début de journée, en fond comme en forme. « Tu devrais venir voir ta tête ! T’es clairement en train de bâiller, ça se voit que je t’ai pris au dépourvu. »
Lorsque ton regard alterne entre la photo et la bouille du Fantyrm, tu notes qu’il boude. D’ordinaire, cela ne te ferait qu’en rire davantage et peut-être même le taquiner un peu plus, gentiment, l’air de rien, avant de lui présenter quelques sommaires excuses et de lui offrir une caresse. Mais les circonstances n’ont rien d’ordinaire. Alors, ton cœur plus léger, l’espace d’un instant se resserre à nouveau et ton sourire s’érode pour finir par complètement s’évanouir. La plaisanterie a assez duré, semble-t-il. Tu retournes donc à l’ouvrage et poursuis la taille à vue de nez des différentes plantes qui fleurissent les abords du tombeau familial.
Une fois suffisamment satisfaite du résultat, tu essuies de ton front perlées quelques gouttes de sueur. Le soleil poursuit son ascension et te fait grâce de sa douce chaleur, pas que tu en ais nécessairement besoin. Ce Fantyrm t’intrigue et bien que tu ne souhaites pas l’incommoder, tu l’interroges. « Excuse-moi, est-ce que c’est parce que tu n’es pas comme les autres qu’il te déplaît à ce point que je t’ai pris en photo ? » C’est déjà la seconde fois de la journée que tu présentes des excuses à un pokémon, c’est à se demander si tu n’es pas tombée sur la tête.
« En-tout-cas, je suis désolé si je t’ai vexé, ça n’étais pas mon intention, si cela peut te rassurer, je peux effacer ce cliché. » Tu exécutes prestement ce que tu viens d’annoncer, sous le regard du petit fantôme. « Tu sais, mon but n’était en aucun cas de te blesser. C’est simplement que je te trouve très beau et que j’aurais aimé gardé un souvenir de toi. » Les reflets mordorés du soleil sur sa peau écailleuse et luisante se portent sur tes yeux et un instant, tu es éblouie. Tu retiens un petit rire en bloquant le rai de lumière du poignet. « Tu vois, tu es beau à en perdre la vue ! » Peut-être restera-t-il complètement insensible à ta flatterie, mais c’est bien tout ce qu’il te reste pour te distraire de tes occupations actuelles.
Il est surpris que tu le trouves si beau. Et c'est peut-être pour ça qu'il se laisse tenter... Si toi tu le prends en photo, alors il pourrait accepter. Tout comme il allait sûrement te suivre lorsque tu tenterais de quitter ce cimetière. Il t'aime bien, finalement.
Le Fantyrm apprivoisé, Osme s’en revient avec un vase dont tu reconnais les contours. « Tu as dû jeter ce qu’il contenait, pour une autre tombe ? », la Mysdibule opine du chef. En effet, elle t’aura rapporté son butin, non sans en défaire une autre famille endeuillée. Ça n’est pas l’idéal, tu aurais préféré qu’il eusse simplement été déplacé, mais après tout, c’est ton bien. Du granit avec plusieurs inclusion marbre blanc, en forme de losange, une curieuse idée que tu avais eus, mais tu n’étais pas déçue du résultat.
Tu portes de nouveau un regard sur cette parcelle et t’accordes avec toi-même qu’une passiflore serait du plus bel effet sur les colonnes de droite. Ton esprit vagabonde, s’occupe, tandis que tu termines de ratiboiser les portions de clématite érodées par le temps. Osme se débarrasse religieusement des sarments qui s’accumule au pied de l’édifice, dans un silence absolu. Y aurait-il te la vie, dans ce cimetière ?
Plus distinctement que toute à l’heure, tu entends du chahut, non-loin. S’agirait-il de nouveaux pokémons qui se chamaillent ou bien des premiers visiteurs, après toi ?
Un autre fantyrm, à croire que tu les attires. Un fantyrm qui poursuit un petit théffroi, semblant l'appeler avec un certain désespoir. C'est l'heure du thé, il ne peut pas fuir de la sorte !
À nouveau, rien qu'un petit Fantyrm. Celui-là, bien différent du précédent, semble davantage intéressé par tout autre chose que tes lamentations. Il semble poursuivre quelque chose, mais quoi exactement ? De ton perchoir, toujours pendue à une colonne et agrippé d'une main au toit du mausolée, tu te penches et examines davantage la scène. Il poursuit un Théfroi... À une heure pareille, se chamailler, ça te semble inconcevable.
Qu'elle idée d'interagir avec qui que ce soit, de si de bonne heure ? Tu lèves les yeux au ciel, Osme imitant sans le savoir ton attitude excédée. L'agitation est parfaitement intolérable pour vous deux dans un tel contexte.. Et si le simili de tasse se trouvait mal, tu serais bien incapable de le déceler. Il n'aurait fallu pas grand chose pour que ça t'arraches un sourire, mais tu préfères rouméguer en grattant du toit de la tombe, les mousses qui y ont poussé.
Tu entends un battement d'ailes, peut-être te fera-t-il sursauter, mais le pokémon se pose sur une tombe près de toi et te fixe gratter cette mousse, la tête penchée, huhulant.
Le début de matinée voit s'agiter différentes espèces, çà et là, même dans ce grand cimetière qu'est la Nécropole. Un Efflèche se pose-là, près de toi, il a l'air intrigué. Tu lui tends un sourire, plutôt faible, mais bien présent. Tu laisses là où elle est la brosse qui te sert à racler la mousse de la toiture du mausolée et l'approche timidement du pokémon. Peut-être celui-là, à l'inverse des autres, rentre de la chasse pour se reposer. Après tout, il te semble bien que cette espèce-là à un rythme de vie relativement nocturne.
Osme de son côté, arrose les plantes. Elle a dû faire fuir les deux autres impertinents, d'un peu plus tôt, du moins, tu ne les entends plus moufter. Peut-être cela ne durera pas. Le temps, suspendu, reprend son cours et tu poursuis ton ouvrage, retirant méticuleusement les impuretés de la pierre, demandant de temps à autre à ta Mysdibule de te faire passer un peu d'eau pour aider à retirer le gros des moisissures déjà décollées. Tant et si bien qu'assez vite, peut-être au bout d'une bonne heure, tu as fini d'y passer une première fois, retiré la plupart des parasites.
Satisfaite, tu t'essuies le front perlant de sueur de l'avant-bras, l'effort a bien des conséquences et en voilà une. Tu t'assois, là-haut et observe l'horizon très atypique qui s'offre devant toi. La lumière s'étend sur les frontières de la nécropole, sans en chasser tous ses habitants, les croix à perte de vue se voient nimbées d'une douce lumière matinale, finalement, c'est toi qui bientôt te retrouves ébloui. Pourtant, il te semble sentir une présence tout prêt, qui est-ce donc ?
Cette présence, c'est lui. Ou elle. Avec sa toge noire qui vole dans le vent, avec ses orbes vides qui te fixent de leur lumière, il semble curieux de s'approcher de toi, mais craintif à la fois.
Il te semble contempler le visage de la mort. Lorsque tu te retournes, c'est un Skelénox que tu découvres, une de ces créatures-là qui tu laisses de vilains frissons dans le dos. Ils n'ont, personnellement, rien fait pour ça, mais c'est plus fort que toi, ils sont de ceux qui t'inspirent la mort dans ça forme la plus décharnée, réelle, crue. Tu rappelles Osme à toi, prétextant de l'aide sur le toit, histoire de dissuadé la faucheuse de s'approcher plus encore. Tu as presque terminé la tâche qui t'occupais ici, alors tu décides de laisser la Mysdibule en finir avec les dernières mousses récalcitrantes et tu vas chercher un peu d'eau pour te rafraîchir.
Heureusement t'y es-tu pris de bonne heure, te dis-tu, sans quoi le monde t'aurais trop pesé sur la poitrine pour que tu ne puisses correctement rendre hommage à tes défunts. Tu te penches sur la pompe, prenant appui d'une main sur sa gorge et de l'autre actionnant le mécanisme. Aux premières gorgées, tu sens quelque chose sur ta cheville, tu trésailles. Quoi, encore ?
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