Reichenbach profitait allègrement de toute l'attention qui lui était porté. Pas qu'il se soit lassé de celle de son maître. Mais là, c'était différent. Ce n'était pas simplement des doigts rigides qui passaient dans sa fourrure. Là, il n'avait qu'à pencher sa tête pour avoir de parfaites gratouilles à l'endroit parfait. Peut-être, c'est vrai, il avait été un brin distrait. L'absol avait bien senti l'agitation naissante chez Arsène. Mais il n'était pas loin, promis. Il arrêterait la catastrophe avant qu'elle ne se déclenche.

L'homme était coincée dans une boucle à ressasser sa dernière tirade, encore et encore. Quel abruti. Le brun faisait de son mieux pour garder un air impassible. Il avait un sourire un peu pincé. Juste assez crédible pour, il l'espère, elle ne doute pas des pensées qui le tiraillent. De ses idées stupides et déplacées qui s'encraient au plus profond de son esprit malade. Elle était sa thérapeute, bon sang. Quel genre de détraqué fallait-il être pour l'imaginer, ses larges lunettes rectangulaires posées délicatement sur le bout de son nez, jouant nonchalament avec une mèche de ses cheveux dorés tandis qu'elle lisait l'une de ses pages? Et qu'elle souriait, comme à cet instant précis?

Il s'efforçait à ne pas détourner la tête, furieux contre lui-même. Sa psychologue. Olivia n'était que sa psychologue. Certes, elle avait lu ses livres. Mais cette convention littéraire était bien le seul rapprochement, à défaut de trouver un meilleur terme, qu'ils ne devaient s'autoriser. Même le parc avait été de trop. Il écoutait religieusement ses paroles, incapable de formuler la moindre réponse adéquate dans l'immédiat. Il avait bien trop peur d'un dérapage. D'une idiotie supplémentaire qui échapperait à ses lèvres. Qu'une pensée ne vienne obscurcir son flot de paroles. Parce que oui, le bouclé serait bien obligé de lui répondre. La femme avait été empathique, sans y avoir été forcée. Ce n'était que politesse que de lui répondre.

— Je-...

Il avait senti une sensation dans sa main. Fugace, subtil. Un rapide coup d'oeil. La main d'Olivia était là toute proche, ses doigts fins frôlant ceux de l'ex-musicien. L'homme détournait le regard pour ne pas y penser. Ses doigts tremblotaient déjà. Retirer sa main serait impoli, lui donner l'impression qu'elle le dérange. La laisser là serait risqué. Il fallait se reprendre, Arsène. Il n'était pas son personnage, il n'était pas Herlock Sholmes qui passait un moment avec sa chère et tendre Eileen Relda, qui profiterait d'un tel rapprochement pour prendre sa main dans la sienne pour y déposer un baiser doux en signe de son affection-

Un contact. Un vrai. Pas un quelconque frôlement potentiellement négligeable. La main détruite d'Arsène était à présent lovée contre celle de la thérapeute. Un frisson parcourut son échine. Il la fit glisser d'un coup pour attraper sa tasse de thé pour rendre sa fuite plus "discrète", mais avait mal jaugé l'amplitude de son geste. Au lieu d'attraper l'anse, il le frappait, renversant la tasse sur la table, et son contenu sur lui. Il n'eut le temps que d'amorcer un bref mouvement de recul. Et merde. Le brun se relevait d'un bond, admirant déjà la tâche foncée sur sa cravate bleue.

— Excusez-moi, je... je reviens.

Et voilà que le bouclé fuyait à grandes enjambées vers les toilettes, suivit par un absol un brin prit de court. Enfin seul, du moins seulement accompagné de son compagnon d'infortune, Arsène prit une seconde pour respirer un grand coup. Quand est-ce que ça avait dérapé? Pourquoi ça avait dérapé? Qu'est-ce qui avait provoqué ce changement d'avis sur Olivia, la faisant d'abord passer d'une ennemie, à une compagnie agréable, à... Peu importe ce qu'elle était à présent à ses yeux? Il ne comprenait rien, et ne se comprenait plus. Rei s'était blotti contre lui, lui offrant tout le réconfort possible.

Après rapide vérification, seule sa cravate avait été victime de cette attaque théinée. Il détachait son noeud Eldredge parfaitement réalisé - car malgré son handicap, Arsène savait nouer sa cravate de manière centrée, lui -, avec un peu trop de hargne: il avait arraché le premier bouton de sa chemise, dévoilant ainsi son cou et le haut de sa clavicule. Et évidemment, ses mains tremblaient beaucoup trop pour qu'il ne puisse régler le problème. C'était un évènement décontracté, il pouvait se permettre de se montrer ainsi, non? Après tout, il n'avait rencontré aucun lecteur qui portait de costume, donc personne ne lui en tiendrait rigueur, n'est-ce pas? Il se penchait au-dessus d'un lavabo, fit couler un peu d'eau dans ses mains et se rafraichissait le visage. Allez. Reprendre le contrôle.

Le brun revenait enfin dans la salle de repos. Il espérait ne pas l'avoir trop fait attendre, il était bien loin d'apprécier le fait d'avoir abandonné Olivia ainsi. Il fit un détour par la machine à boisson pour se servir une nouvelle tasse de thé, et préparer une petite sélection de biscuits en tout genre, qu'il plaçait sur un petit plateau en bois prévu à cet effet. Puis, une fois les bras bien chargés, il revint à la table où l'attendait la jeune femme.

— Ce n'était finalement rien de grave, seule ma cravate a été touchée. Il glissait vers elle le plateau. Avait-elle seulement envie de biscuits? J'en ai profité pour prendre quelques mignardises, j'en ai entendu beaucoup de bien.

Il reprit sa place, tentant tant bien que mal de reprendre la conversation comme si de rien n'était. Il avait posé ses doigts autour de sa tasse, malgré que la chaleur le fasse souffrir. Au moins, elle ne risquerait pas d'approcher sa main à nouveau- Non. Elle n'avait pas approché sa main, c'était lui qui l'avait fait.

— Et... je vous remercie pour votre bienveillance, docteur. Non, il n'aimait vraiment pas. Mais c'était pour le mieux. J'espère avoir réussi à rendre l'instant aussi agréable que possible. Que ma... fatigue n'a pas trop gâché ces rencontres. J'aurai préféré les faire dans un autre état d'esprit, peut-être à un autre moment. Simplement plus tard. Après le badge. Après toute cette histoire qui l'obsédait et l'inquiétait outre-mesure. Je sais que cela peut sonner prétentieux, ou ingrat, mais... Toute cette attention, aussi bienveillante soit-elle, m'angoisse peut-être un peu. Un tête à tête-... Arsène, bon sang! Ça peut aller, mais enchaîner les rencontres est plus difficile que ce que j'aurai pu imaginer.