Je suis épuisée, fatiguée. J'ai l'impression que mon âme veut pleurer, que mon corps en est incapable et que mon esprit ne peut que constater, quelque part entre les deux, que ça ne tourne pas rond. Que ce n'est pas normal. Pourquoi ? Je suis incapable d'y penser, de me questionner. J'approchais de la surcharge et c'était pratiquement un mécanisme de défense que de débrancher tout pour éviter que les choses ne continuent à s'envenimer. Je pourrais réfléchir plus tard, comprendre plus tard. Ainsi, lorsqu'Arsène se propose pour me raccompagner, je n'y réponds pas. L'information traverse mes neurones et me laisse simplement de marbre, incapable même de jauger des répercussions possibles ou des brèches d'éthiques qui pourraient venir avec un tel retournement de situation. Tant que je pouvais rentrer chez moi. Tant que je pouvais tenir le coup sans me ridiculiser à l'extérieur en faisant une crise totale.

Il avait ouvert le chemin et je l'avais simplement suivit, ma seule pensée étant : il ne marche pas assez vite. Je veux m'en aller plus vite. Prendre la fuite plus vite. Et il ne m'en avait pas laissé la chance. Un taxi, vraiment ? J'avais l'impression de sentir ma peau être parcourue d'un frisson désagréable, la même sensation que le mot : moite. Dégoutant, répugnant. Mais je ne pouvais m'en sortir, pas lorsque même Bach était en accord avec son plan. Arsène continuait de parler, de s'inquiéter. Des mots et encore des mots. Sans sens, sans intérêt. Qui ne réglaient pas la situation. Je regardais ailleurs, ne répondait pas. Mais je n'avais pas pris la fuite jusqu'à ma voiture, c'était déjà ça. C'était le mieux qu'il aurait de moi dans cet état.

La voiture était là, le brun s'occupait de tout. Je n'eu qu'à m'asseoir, me poussant jusqu'au siège du fond pour qu'il puisse s'installer à ma suite. J'étais maladroite, mes talons et ma taille ne m'aidant en rien à m'installer confortablement dans l'habitacle. Le frottement de ma semelle sur le tapis. Mon orteil qui y avait touché. L'odeur immonde d'après-rasage en provenance du siège du conducteur. J'avais commencé à me balancer d'avant en arrière, évitant tout regard avec qui que ce soit, sachant trop bien ce qui se passait. Remarquant le mouvement du chauffeur qui avait réajusté son miroir pour pouvoir me regarder, me surveiller. Se demander ce qui n'allait pas avec moi. J'aurais aimé dire que j'en avais l'habitude, j'aurais dû en avoir l'habitude, mais finalement ça ne devenait jamais plus facile.

Dans mon état j'étais incapable de communiquer la destination, la direction, rien. C'est Bach qui fut obligé de s'en occuper, faisant apparaître l'adresse dans l'esprit du chauffeur, n'améliorant en rien son opinion de nous. Et Arsène qui était à côté de moi. Me jugeait-il aussi ? Elle avait fière allure sa stupide psy même pas fichue d'aller passer une journée dans un putain de salon du livre. Je me mordais l'intérieur de la joue, m'enfouissant les ongles dans mes bras. Je voulais souffrir. Je voulais me punir. Je voulais ressentir ma souffrance sur le plan physique parce que c'était plus facile que de la ressentir dans mon coeur, de la comprendre dans ma tête. J'aurais bien été capable de m'arracher la peau si seulement ça avait fait une différence. Si seulement il y avait un moyen d'avoir assez mal pour faire disparaître la honte. Mais ce n'était jamais assez.

Nous approchons de mon quartier. Une zone pas nécessairement recommandable, ni très riche d'ailleurs. J'avais un vieil appartement miteux, trop petit pour tous mes pokémons. Dans un immeuble brun et fatigué où je n'appartenais pas, mon métier m'offrant suffisamment pour que je m'offre quelque chose de bien plus huppé et, pourtant, j'y restais toujours. L'appartement de ma fuite, des ponts que j'avais coupés avec tous. Tout ce que j'avais pu me payer après avoir emménagé à Ilerda et déboursé une fortune dans l'acquisition de mes parts du cabinet de psychologie privé Galvin & Sullivan. J'en avais l'habitude maintenant et en partir me semblait être une épreuve insurmontable. Bien trop difficile. Ce serait un trop gros changement qui, de toute façon, n'était pas nécessaire.

Dès que le véhicule fut arrêté devant mon immeuble je profitai de la situation. J'avais ouvert la portière, j'avais fui. J'étais arrivée devant l'entrée, les mains lourdes et nageant dans le coton. J'avais laissé tomber mes clés, provoquée par ma propre maladresse et ressentant une colère immonde gronder en mon être. Si j'étais normale, si je n'avais pas ces réactions, je n'aurais pas laissé tomber mes clés. Une respiration profonde plus tard, j'étais parvenue à ouvrir, à pénétrer la cage d'escalier menant à mon appartement. J'ignorais si Arsène avait eu le temps de me suivre, s'il était sur mes traces. De toute façon Bach était capable de se frayer un chemin jusqu'à chez nous et il était libre de décider si le brun et son quadrupède pouvaient nous suivre ou non.

Enfin. Enfin. Enfin. J'étais chez moi. J'ouvrais la porte, arrachais mes souliers de mes pieds comme s'ils étaient plein de braises, quitte à presque ma vautrer contre l'un des comptoirs de ma cuisine étroite. Sibelius avait voulu venir m'accueillir, ronronnant, désireuse de se frotter à mes jambes.

« Dégage ! »

La seule salutation que j'avais à lui offrir dans mon état. J'avais traversé mon appartement minable en trois enjambées, me retrouvant vite au salon qui me faisait aussi office de chambre. Mon lit escamotable était ouvert, comme il l'était presque toujours, et c'est sans une pensée pour qui m'avait suivie ou pas que je me jetais presque dedans, bataillant avec ma couverture lestée pour m'installer dessous et souffler enfin. Épuisée, incapable de bouger mon corps, d'interagir avec qui que ce soit. L'esprit brumeux, distant. C'est à mon kadabra que revenait la tâche ingrate d'inviter ceux qui nous avaient suivit à l'intérieur, s'empressant de faire un brin de ménage sommaire de ses capacités psychiques. Rangeant des livres sur mes étagères, refermant la malle à linge sale, indiquant à Arsène l'endroit où il pouvait déposer ses chaussures. Au moins il ne serait pas le seul à être présent pour le Slater. Sibelius, déçue, était allée s'asseoir dans l'entrée, regardant le musicien avec ce qui pouvait être interprété comme un regard triste, inquiet. Désolé.