C'était le jour J. Le jour qu'il avait tant redouté. Cette maudite date qui l'avait tant affaibli qu'il en avait pleuré pendant sa dernière scéance de thérapie. Ce n'était pourtant pas une épreuve, pas plus que n'importe quel autre jour dans sa misérable existence. La seule différence était qu'il allait se retrouver enfermé dans un manoir en compagnie de ses parents. Parents qu'il n'avait pas revu depuis des mois, et avec qui il avait violemment coupé les ponts. Arsène eut un haut le coeur.

Il n'était déjà pas particulièrement en avance, mais il eut besoin de s'allonger un moment. Rei s'était activé pour le rejoindre, s'allongeant de tout son long sur son torse. Le poids sur sa poitrine l'aidait à se calmer, au moins un peu. Il passait ses doigts dans l'épaisse fourrure blanche du pokémon. C'était bien l'une des rares sensations qui ne lui faisait pas mal. Et s'il restait là pour ce soir? Ce n'était pas comme s'il risquait d'aggraver la déception de ses parents pour lui. Ils se portaient certainement bien mieux depuis qu'ils n'avaient plus le brun et sa dépression dans les pattes.

Il repensait à cet appel, celui qui avait causé sa détresse. Son père ne parlait jamais plus que nécessaire. C'était un homme de peu de mots, qui ne s'exprimait qu'à travers ses actes. Alors, recevoir un appel du Vicomte Slater en personne était en soit une cause d'inquiétude non négligeable. Quand son portable avait sonné, Arsène n'avait pas été capable de répondre immédiatement. Tétanisé devant l'appareil, il s'était attendu au pire. Un accident, une mort. Mais non, rien de tout cela. Quand enfin il avait décroché, il n'eut droit qu'à la voix stoïque de son père l'invitant pour un repas de famille.

— Pourquoi j'ai accepté... Fais chier!

Arsène s'était caché les yeux, prêt à essuyer la première larme qui oserait apparaître au coin de ses yeux. Il s'en voulait terriblement. Il n'était pas prêt. Revoir ses parents, revoir son père, ne serait-ce que soutenir son regard, c'était bien trop dur. Mais il était à présent coincé, car jamais il n'aurait le cran de faire l'impasse et de ne simplement pas se montrer. Il aurait voulu n'avoir jamais décroché. Il aurait voulu avoir eu la force de refuser. Mais non. Quand Edmond exige, Arsène obéit.

Le bouclé avait passé de longues minutes là, à imaginer tous les pires scénarios possibles. Il s'était recroquevillé sur son sofa, tenant fermement l'absol contre lui. Ses traits étaient tirés par la douleur, autant physique que psychique. Il se comportait vraiment comme un enfant. Un sale gosse capricieux qui préférait taper du pied dans son coin plutôt que d'assumer les responsabilités de ses actes. C'était sa faute si les ponts avaient été coupés. C'était sa faute s'il y avait un froid dans sa famille. C'était sa faute.

Reichenbach avait quitté sa place sur le torse de l'homme pour l'inviter à se préparer. L'absol ne savait que trop bien que le retard était une cause d'inquiétude supplémentaire. Le brun avait aussi gardé un détail important en tête: il ne serait pas seul, ce soir. Il y aurait ses parents, certes, mais Callie serait là. Elle le soutiendrait. Elle serait là pour lui. Il n'avait aucune raison d'en douter. Jamais il ne douterait d'elle. Rei collait son front contre celui d'Arsène. Lui aussi, il serait là. À son poste, et prêt à en découdre pour le protéger. Il venait de le promettre dans un grognement. Cette réaction avait eu le mérite d'arracher un sourire au brun. Il ne serait pas seul. Il en était capable.

Il s'était habillé d'un costume noir, plus élégant qu'à l'accoutumé sans être criard. Son col reflétait légèrement la lumière grâce à de belles arabesques brodées dans un fil d'argent. Il avait attaché l'unique bouton doré de sa veste, ne dévoilant qu'à peine son veston. Il aimait en porter, même s'il ne le faisait pas souvent. Son père avait toujours trouvé que c'était un accessoire superflu. En portait-il un ce soir par pure préférence vestimentaire, ou par défi? Arsène secouait la tête pour chasser ces idées stupides. Il devait impérativement garder en tête que tout ça, ce rassemblement familial, n'était finalement que ça. Qu'un repas en famille. Pas une attaque déguisée. Et puis, il s'était endurci- non, pas exactement. Il allait mieux.

L'heure du départ avait sonné, ou plutôt avait réussi l'exploit de se faire entendre. Il avait attrapé son long manteau tout droit sorti du pressing - hors de question qu'il se fasse à nouveau remarquer pour une odeur de tabac froid, comme avec Olivia - et avant de quitter sa demeure, offrait à chacun de ses chiens une caresse. Watt serait capable de maintenir le calme, Arsène n'avait pas la moindre crainte. Il aurait voulu les emmener tous, mais ce n'était pas possible. Que dirait le Vicomte s'il savait que son fils avait transformé ses appartements en sanctuaire canin, alors qu'il aurait pu faire quelque chose de bien plus utile de sa vie- stop. Ce n'était qu'un dîner, pas une cour d'assises.

Le trajet jusqu'au lieu de réception lui avait paru étrangement long. Les parents du brun n'habitaient pour ainsi dire qu'à quelques rues de lui. Mais il n'avait pas pu s'empêcher d'emboiter un pas lent, hésitant. Si sa tête avait réussi à se convaincre que l'épreuve n'était pas si terrible, son corps faisait des siennes et protestait sans relâche. Plusieurs fois, il avait eu besoin de s'arrêter parce que ses poumons refusaient catégoriquement d'emmagasiner la moindre particule d'air. Plusieurs fois, ses pieds avaient décidé de se mouvoir à l'unisson, manquant de le faire trébucher. Plusieurs fois, ses yeux s'étaient embués alors qu'il s'était promis de ne pas être trop émotif. Il n'en avait pas le droit. Pas là où il allait.

Il n'était plus qu'à quelques pas de l'entrée. Rei avait ouvert le portail, et était prêt à ouvrir la porte. Tout ce qu'il attendait, c'était que son maître s'appaise. Qu'il soit relativement calme, et prêt à affronter ce qui l'attendait. La truffe frottant doucement contre les doigts tremblants d'Arsène, le pokémon lui apportait tout son soutien. Il ne l'abandonnerait pas, il lui avait promis. Si le brun devait fléchir, l'absol serait sa béquille.

— Allons-y.

La demeure était lumineuse, presque chaleureuse. Il fut un temps où le bouclé avait vécu ici, avait écoulé ici des jours heureux. Il avait aussi traversé bien des peines. Son corps émaciait tremblait sous son manteau. Il avait le vertige. Peut-être avait-il encore le temps de fuir, de s'éclipser, avant qu'on ne remarque sa présence? Trop tard. Il pouvait reconnaitre ces pas entre milles. Sa marche militaire, le son de ses chaussures qui claquent contre le parquet. Le bouclé était paralysé. Il maintenait sa tête aussi droite que possible, gonflant légèrement son torse pour se donner un air plus confiant. Semblant d'aplomp qui disparut à la seconde même où Edmond Alexandre Slater se postait devant lui.

— Arsène.
— ... P- Papa.

Le militaire, le port altier, s'était contenté d'hocher la tête en signe de salut. Mouvement répliqué par son fils, incapable de faire quoi que ce soit d'autre. Puis, sans un mot, il quittait la pièce pour rejoindre son bureau. Laissant là le brun, le souffle coupé, incapable de savoir comment réagir. Il avait eu besoin d'un petit moment pour se reprendre. Pour ne pas lâcher prise. Il avait baissé la tête, partageant un regard avec Rei. Ce dernier avait frotté sa tête cornue contre sa jambe en soutient. Il avait aussi penché la tête vers l'avant pour lui indiquer quelque chose. C'était... Ah, Callie était déjà là. Avec leur mère, radieuse. Il prit une inspiration, abandonnait son manteau sur le portant de l'entrée, et s'approchait d'elles. Tout allait bien se passer.

— Bonsoir. Pardon pour le retard.