Sa scène n'avait pas plus à son auditoire. Pas du tout. L'ordre avait eu l'effet d'une balle d'arme à feu. Arsène était mentalement à terre. Physiquement, il était resté là, à fixer son assiette. Il ne mangeait pas, il en était bien incapable. Ses parents n'en tenaient pas compte, et profitaient comme il se devait des talents de leur cuisinier. Quant à Callie... Il était hors de question qu'il ne croise son regard. Pas après ce qu'il avait fait. Ou plutôt, ce qu'il avait échoué à faire. S'il avait simplement accepté son rôle d'ainé, d'héritier, sans faire d'histoire, elle aurait été épargnée des réflexions de leur père.

Il ne s'était même pas intéressé à ses concours. Pourquoi? Arsène avait vu l'enregistrement, elle était douée. Vraiment douée. C'était beau de la voir ainsi interragir sur scène avec son équipe. Ce n'était que son premier ruban, et pourtant, elle avait eu l'air si épanouie dans la vidéo. Et il n'avait même pas fait l'effort de regarder. Par contre, il comptait bien être présent pour ce maudit combat. Probablement pour être certain que son fils ne prenne pas la fuite. Pour pouvoir être aux premières loges quand ce dernier échouera lamentablement. Tuant ainsi tout espoir qu'il pouvait encore avoir en son ainé. Arsène n'en pouvait plus de cette différence de traitement. Il en était certain, au fond de lui: s'il avait été celui qui s'était teint les cheveux, leur père n'aurait pas fait de telles histoires.

Il eut besoin d'un moment avant de remarquer que Callie avait abandonner sa place pour se poster à côté de lui. Il ne revint à lui que quand il entendit sa mère protester quant à leur départ précipité. Leur départ...? Oui. Sa soeur venait de l'inviter à la suivre, qu'elle allait le ramener chez lui. Reichenbach avait essayé de le sortir de ses pensées d'un léger coup de corne. Sans un mot, Arsène s'était levé, et suivait la blonde jusqu'à la porte d'entrée. Il n'avait plus la force de négocier, de parlementer. Peut-être qu'il aurait voulu rester, profiter de sa mère encore un peu? Non, pas vraiment. Elle n'avait pas fait que rester silencieuse alors que ses enfants avaient été attaqués. Non, c'était pire que ça. Elle avait cautionné. Elle cautionnait cette histoire d'arène. Elle cautionnait les remontrances sur sa fille. Elle était aussi coupable que leur père. Il l'avait assez vu pour aujourd'hui.

Le petit groupe était arrivée dans l'entrée du manoir: Callie en tête, suivi d'Arsène, et talonné par Rei. Il lui fallait au moins un tel cortège pour réussir à avancer. Il était si épuisé qu'il n'avait pas fait l'effort de remettre sa veste, se contentant de la plier sur son avant-bras. Il s'apprétait à proposer à sa soeur de laisser tomber le covoiturage, de la laisser rentrer chez elle, puisque de toute façon il n'habitait pas si loin, qu'il était en capacité de marcher. Mais une voix derrière lui avait fait irruption dans le hall. Une voix grave, qui ne laissait aucune place au doute. Ils n'allaient pas s'échapper comme ça.

— Fils. Viens.

Le patriarche invitait son ainé - et seulement son ainé - à le suivre dans son bureau. Arsène avait hésité un instant, préférant la proximité fraternelle de sa soeur à cette pièce aussi dénuée de chaleur que son propriétaire. Mais il ne lui restait pas assez d'arrogance pour refuser cette invitation qui n'en était pas vraiment une. Il avait pris une inspiration avant d'avancer. Il jetait un coup d'oeil tout autour de lui, comme s'il découvrait cette salle pour la première fois. Le démolosse gardait, silencieux, un oeil sur ce qu'il aurait pu considérer comme un intrus. Son père s'était approché d'un coffret luxueux dans lequel trônait cinq pokéballs. Edmond savait que ses enfants étaient sur le départ, donc il fut bref: sans un mot, il en attrapait une, et la tendait à son fils. Complètement noire. Au poids conséquent. La surface était abimée par les années et une utilisation sur le terrain. Sur le front.

— ... Picardy?!
— Tu auras besoin d'un allié puissant. Discipliné. Il est à toi.

Arsène regardait, les yeux écarquillés, ce don qu'il venait de recevoir. Picardy n'était pas n'importe quel pokémon. C'était un chien militaire du Vicomte lui-même. Un dogrino qui avait connu la guerre, qui y avait participé pendant de nombreuses années. Un monstre de puissance qui était déjà en activité quand le brun n'était qu'un enfant. C'était un allié de taille, à n'en pas douter. Mais cela ne réglait pas le problème initial: le jeune homme n'était pas taillé pour le combat. Il relevait la tête, prêt à rendre le pokémon à son propriétaire, avant d'être coupé dans son élan.

— Ne me déçois pas.

Un ultimatum aux airs d'encouragement. Il était pris au piège. Sans demander son reste, il fit volte-face pour échapper à ce maudit bureau. Il avait jeté la pokéball au fond de sa poche, comme si ne plus l'avoir sous les yeux pouvait la faire disparaître. Pas qu'il aie quoi que ce soit contre Picardy, évidemment. Mais ce pokémon représentait toute une carrière qui s'annonçait, tout un tracé qu'Arsène n'aurait jamais soupçonné. Il n'était pas prêt, pourquoi son père s'acharnait-il à ce point? Cela ne pouvait-il donc pas attendre? Pourquoi ne faisait-il pas confiance à Calliope pour faire honneur à cette famille? Elle en était capable, pour peu qu'il lui laisse sa chance.

Il était épuisé. Ses pas n'étaient plus déclenchés que par Rei qui tentait désespérément de le motiver à avancer. En rejoignant l'entrée, il n'avait même plus la force de regarder sa soeur dans les yeux. Alors il s'était contenté de passer la porte, sans un mot. Le portail, c'était l'absol qui l'ouvrait pour lui. Arrivé le premier à la voiture, parce qu'il avait considérablement allongé ses foulées, il n'eut pas la patience d'attendre qu'on lui ouvre la portière. Il le fit lui même, malgré la douleur qui lui arrachait un râle. Il n'en avait plus rien à faire, il voulait s'échapper d'ici. Rei se faufilait dans le véhicule, prenant sa place sur la banquette arrière, et posait la tête sur l'épaule de son maître.

— J'aurai dû... J'aurai... Pardon... Il t'aurai laissé tranquille. J'avais juste à accepter, merde! J'aurai juste dû fermer ma gueule!

Il n'était plus aussi enclin à faire attention à son vocabulaire. La fatigue et la douleur avait prit le relais sur sa diction. Sentant les quelques larmes perfides qui se formait dans ses yeux clairs, il jetait sa tête en arrière, espérant que la gravité fasse son travail. Hors de question de pleurer. Il s'était déjà montré suffisamment faible. Son visage était déformé par la rage, par la honte aussi.

— Excuse-moi, je... suis fatigué, et... Et merde...

Il avait laissé ainsi mourir sa phrase, incapable d'aligner le moindre mot supplémentaire. Dans l'immédiat, il voulait s'en aller. Retrouver le confort de sa demeure. Retrouver le calme.