L’escapade qu’avait menée Dvora au cœur de la Jungle Intemporelle l’avait laissé complètement lessivée. Le soir venu, c'est sans demander son reste, qu’elle s’était couché dans une chambre louée à Arsinoe pour y dormir de tout son soûl. La ville pourrait presque lui convenir. Elle l’a trouvé très agréable à vivre, bien que la plupart des installations modernes soient absentes ou bien trop peu nombreuses, le temps y passait lentement, dans une langueur méridionale tout à fait charmante. Si l’on omet le contexte politique actuel, la grande proximité avec la frontière sud de l’empire et la chaleur étouffante qu’il pouvait parfois y régner, dû à l’omniprésente humidité, la ville était tout à fait appréciable !
C’était tout de même trop pour Dvora qui, bien qu’elle eut d’autres doutes par la suite, quitta la ville sans regret. Tombée dans un état d’hypervigilance pour rejoindre Syene, elle examinait scrupuleusement la moindre verdure par peur qu’il s’agisse d’un Vortente affamé, prenant le moindre pas comme l’on marche sur des œufs, de risque de s’égratigner sur un Qwilfish. Le tout harcelé en continu par différentes espèces d’insectes. Le tableau était dressé, le chemin du retour à la Capitale se voulait des plus déplaisants. Elle ignorait elle-même quoi en comprendre, lui aurait-il fallu ne jamais partir ou essayait-on de lui faire comprendre qu’il ne lui fallait pas revenir, la chose n’était pas claire et cela n’irait pas en s’arrangeant.
Le chemin n’était pas bien fréquenté, la joaillière commençait à sérieusement accusé le coup de la solitude dans laquelle elle s’était volontairement plongée. L’habitude d’être sollicité sans cesse lui donnait en comparaison l’impression qu’elle n’existait plus pour personne ici. C’est pourquoi, timidement, à l’encontre de tout ce qu’elle avait connu, elle se laissa la liberté de profiter de certains de ses camarades. Elle libéra Tsar et Sól de leurs pokéballs, fait suffisamment rare pour déstabiliser les deux hères. Rapidement, Tsar prit son envol et explora les environs, à la recherche d’un encas ou de toute chose pouvant éveiller son intérêt, quant à Sól, elle finit dans les bras de sa dresseuse, où elle ne se sentait pas nécessairement à l’aise…
« Tu penses quoi de cet endroit ? » demanda la jeune femme à sa suivante. L’air dérangé du reptile, lui fit prendre conscience de l’indélicatesse dont elle voudrait faire preuve. « Tu te préférerais sur mon épaule ? C'est ça ? », ni une, ni deux, la Galvaran bondit sur son perchoir ou fièrement, elle put prendre la mesure d’où elle se trouvait. Désormais, en position de répondre à sa dresseuse, elle se tourna vers elle pour pousser comme un petit cri, silencieux, un brin d’électricité se formant au fond de sa gueule ouverte, ses écailles sur son corps se dressant et s’abaissant frénétiquement. Était-elle contente ? Dvora décida de le comprendre ainsi, sans plus de cérémonie, elle se remit en marche.
Qu’est-ce que ce chemin difficilement praticable allait-il leur réserver ?
Un poisson empoisonné, déjà. Voilà ce que ce chemin te réserve. Et un preux chevalier, fort gobou qui met une tape à l'arrière de la tête de celui semblant vouloir t'attaquer. C'est qu'on ne fait pas ça par ici !
L’intérêt de Tsar fut piqué avant qu’il ne le soit lui-même. La bestiole que sa dresseuse fuyait comme la peste depuis qu’elle était entrée dans ces marécages, lui, il avait décidé d’aller la picorer gentiment, histoire de voir ce que le Qwilfish en penserait. Sans surprise, ça ne lui a pas beaucoup plus de se faire agresser de la sorte et il a répliqué. À bien y réfléchir, c’est peut-être pour ça que Dvora ne sort que très rarement ses pokémons de leurs geôles et souvent dans l’intimité, c’est pire que des gosses à gérer en extérieur.
Intérieurement, la jeune femme soupire en affichant un sourire peiné, compatissant. Elle prend le temps de caresser cet abruti de piaf en lui disant « Pauvre Tsar.. Tu as été si courageux.. Mais tu es tombé sur plus fort que toi, ça arrive. Fait plus attention la prochaine fois, si tu ne sais pas, demande-moi ! Peut-être que je pourrais te répondre, là, si tu ne savais pas, j’aurais pu te le dire que ça n’était pas une bonne idée de picorer dos d’un Qwilfish. » elle dit ça sur le ton le plus calme et mielleux possible, bien qu’elle eut envie de l’étriper.
Avant d’ajouter, « Mais, ne t’en fais pas, c’est aussi de ma faute, je m’en méfie depuis que je suis arrivé et je ne t’ai pas prévenu, moi aussi, je ferais plus attention la prochaine fois. », c’est en prononçant cette phrase, se voulant déculpabilisant vis-à-vis du Passerouge, qu’elle ne rend compte qu’elle n’est pas nécessairement fausse et qu’elle se met à ressentir un brin d’empathie pour la bestiole. C’est vrai ça, il n’en sait rien lui qu’un Qwilfish, c’est dangereux. Inquiète, Sól examine son compère depuis l’épaule de Dvora avant de tourner son attention quelques mètres plus loin, vers le Qwilfish.
Elle bondit sur le sol et s’avance de quelques pas avant de préparer une capacité que la joaillière lui avait enseignée il y a peu de temps de cela, Monte-Tension. Parfaitement exécutée, la capacité aurait très certainement touché le coupable, sans l’intervention in extremis d’un Gobou, qui flanqua une bonne rouste à son compatriote avant de l’obliger à s’incliner puis à présenter ce que la servante devina être des excuses. Troublée, la dresseuse contempla ce preux chevalier, songeuse. « Sól ! N’agit pas sous le coup d’une émotion. Ton intention est peut-être bonne, mais elle pourrait te coûter la vie. » elle baisse son regard vers le Passerouge, souffrant :
« Tous les deux, vous êtes mes plus récentes recrues, les plus indisciplinées aussi. » malgré la douleur, on pouvait voir que Tsar avait honte et, la Galvaran ne demanda pas son reste pour se ramener vers sa dresseuse, elle aussi peu fière. « Comme tu peux le voir, ils auraient bien besoin d’un grand-frère, est-ce que tu voudrais bien m’aider, devenir cet aîné ? » Dvora s’adresse directement au Gobou duquel elle s’est approchée, lui tendant une pokéball, elle se veut sincère, souriante et pour une fois, c’était plus honnête qu’une simple histoire d’apparence.
@SoloTentative de Capture N°1 (Pokéball sur le Gobou) | Pokéball (19/20)
Mais qu'est-ce que tous eux, tous ces pokémons de la zone, ferait sans lui ? Tu vois, il est celui qui les discipline et ça pourrait vite devenir dangereux s'il n'était pas là ! Tu aurais pu te faire empoisonner par exemple !
La joaillière renvoie Tsar dans sa pokéball, toujours souffrant. La proposition faite à ce Gobou ne semble pas le décontenancer d’un iota. C’est comme si, avant même d’avoir posé la question, il avait une réponse automatique en tête, comme s’il savait que quoi qu’il arrive il ne quitterait pas le Bayou. La question qui trotte dans l’esprit de Dvora est la suivante : était-ce par choix, par conviction personnelle, par préférence ou bien par devoir, par obligation ? Plus important encore, cette obligation, s’il s’agissait de ça, était-elle réelle ou perçue ? C’est ce qu’allait se permettre de demander la dresseuse à ce pokémon.
« Dis-moi, es-tu bien certain de ne pas te sacrifier pour les autres ? » Le ton de Dvora se veut grave, lourd d’une charge émotionnelle qu’elle ressent elle-même. « Est-ce vraiment ton choix de vivre ici, tu es sûr que tu ne voudrais pas découvrir du pays, avec moi, avec nous ? » Elle désigne Sól du regard. « Tu sais, il faut parfois faire des choix pour soi, même si ça n’est pas toujours le plus facile, loin de là… » Le regard de la jeune femme se perd dans les marécages alentour, comme perdue dans ses propres pensées.
« Et puis, même si j’imagine que tu les aimes tes camarades, es-tu vraiment si irremplaçable que ça ? N’y a-t-il personne d’autre qui serait susceptible de prendre ta place à ton départ ? » Les yeux de Dvora se posent à nouveau sur l’axolotl, on peut entendre dans sa voix toute l’amertume, la nostalgie et la sincérité qui l’anime. « Si tu m’as l’air d’un grand-frère irréprochable, cette zone ne compte-t-elle pas un papa ou une maman tout à fait capable de gérer la situation à ton départ ? » Elle lui sourit, tendrement avant qu’un nuage n’assombrisse ses traits.
« À moins que tu ne saches déjà tout ça, mais que tu te caches derrière ces excuses pour ne pas vivre ta vie. Il en faut du courage pour accepter ses propres désirs, crois-moi, je sais ce que c’est. » ramenée pleinement au présent, Dvora s’accroupit au bord du chemin de bois, tendant une nouvelle fois une pokéball à ce Gobou. « Est-ce que tu manques de courage, toi ? » Une nouvelle fois, elle lui tend un sourire chaleureux, persuadé de la réponse, Sól toujours juchée sur son épaule, appuyant la demande tacite de sa dresseuse.
Est-ce qu'il peut vraiment te croire ? Il n'en est pas certain, après tout, est-ce que toi tu vis vraiment ta vie comme tu le veux ? Est-ce que toi tu manques de courage ? Il est curieux, c'est évident, à croire qu'il peut lire dans ton âme (ou pas).
Le Gobou n’est pas dupe, il ne se laisse pas tenter par le chant des sirènes que lui propose Dvora. Même en allant jusqu’à piquer sa fierté au vif, il ne mord pas à l’hameçon. Cet axolotl surprend la jeune femme dans sa capacité à demeurer vertueux, il aurait pu s’emporter face à un tel outrage, mais il n’en fit rien. Il se contenta, un brin philosophe, de renchérir sur les questionnements portés par la joaillière. Il se fit comprendre d’une manière très singulière, un mashup avant-gardiste de mime, d’expressivité facile et de danse contemporaine qui savait parler à l’âme, en secret.
C’était un spectacle rare auquel il fallait être présent pour pouvoir y croire. Pour autant, le message final était on ne peut plus clair : peut-il seulement la croire, met-elle réellement ses conseils en pratique ? Ne manquerait-elle pas de courage elle-même ? Soufflée par la présence d’esprit de ce Gobou qui, décidément mettait sa croyance en l’imbécilité heureuse des pokémons à genoux, Dvora su lire entre ces lignes une perspective de réponse. « Bien sûr que moi aussi j’ai du mal à mettre en œuvre ce que je te vante, mais j’essaie ! Je te le jure, j’essaie. Qu’est-ce que le courage sans peur si ce n’est de la témérité ? »
Le Gobou avait l’air curieux de ce que la dresseuse avait à lui rétorquer, ils échangent des traits, comme ils le peuvent, avec un certain respect l’un pour l’autre. Cet échange et cette ouverture intellectuelle rendaient d’autant plus convaincu Dvora à insister pour lui demander de la suivre. Comment résister à une tête comme celle-là ? Son homologue dans l’équipe de la servante, Sól, souffrait d’une certaine lascivité quant à l’infantilisation de sa dresseuse. L’axolotl, lui, bénéficiait de cette aura profondément sympathique aux yeux de la jeune femme, sans pour autant en subir les effets néfastes. Il savait s’imposer et Dvora se surprenait à apprécier cela chez lui.
Témérité et courage, voilà des mots qui se ressemblent. Ce philosophe en herbe a envie de te rétorquer que seul la personne qui se lance dans une tâche sait ce qu'il en est. Tout témoin extérieur ne peut qu'essayer de se forger son propre avis et juger. Et que sommes-nous, sinon ce qui est perçu par les autres ?
Le débat semble s’éterniser, un coup de chaud peut-être, le Gobou semble perdre en cohérence et gagner en sophisme. À la fin de sa libre interprétation du lac des signes, qui donnait clairement à voir une pensée pompeuse et sans saveur, Dvora était fort désappointée. « Comment ça des mots qui se ressemblent ? » elle secoue la tête, en signe de désapprobation. « La nuance à une importance capitale, ne vois-tu pas la différence entre l’importance de ton rôle dans l’écosystème et l’importance que tu as toi ? Tu n’es pas limité par ce rôle et ce rôle n’a pas à te limiter. Témérité et courage sans être antonymes n’en sont pas pour autant les mêmes, il y a, ici aussi, de la nuance. »
Satisfaite de son discours, elle revient à la charge en lui présentant une nouvelle fois une pokéball sous le nez. La boudera-t-il comme toutes les autres ou celle-ci trouvera-t-elle grâce à ses yeux ? Rien n’en était moins sûr. « En effet, on est bien les seuls à pouvoir prétendre connaître assurément nos moindres secrets, faux-semblants et impostures. Moi, je te le dis, je suis en chemin. Je te propose de m’y suivre, dans une quête de soi, de nous si tu le voulais bien. », elle lui tend un énième sourire, un tantinet moins sincère que les précédents. Il faut dire que l’action aurait tendance à devenir redondante et que la patience de Dvora n’a jamais été une de ses forces.
« Il peut questionner, sublimer et parfois même mettre à jour des éléments inconnus du sujet, le témoin extérieur est un allier précieux. En revanche, si nous nous définissons bien en partie par l’Autre, ce qui n’est pas soi, nous sommes, en dépit de la présence d’autrui. Autrement, comme tu le dis, nous ne serions qu’un, perdu et incapable de définir nos contours, ou bien rien. »
Ce que tu dis fais sens, et il apprécie de pouvoir ainsi débattre avec toi. Un bout de chemin, ce n'est finalement pas grand chose dans une vie. Et le plus important, c'est d'être bien accompagné, et tu seras un excellent compagnon.
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