Le bruit de l’eau qui coule est noyé par celui des automobiles qui empruntent la Route 6. Bien que tu suives un trajet plutôt scénique dans la ripisylve du chenal, la route sur l’autre berge te rappelle que tu n’es pas dans la nature sauvage que certains associent encore aux environs de Nepthe, mais bien proche de la civilisation – probablement l’influence de Carteia. Dans ce paysage sonore le champ des Tarpaud reste audible par intermittence mais n’est pas suffisant pour s’imposer au-dessus de celui de l’homme. Le cours de la rivière étant endigué depuis des années afin de permettre aux automobiles de voyager et d’enrayer les inondations qui avaient lieu autrefois, tu ne peux pas t’empêcher de te questionner sur l’espace de liberté accordé à la rivière et aux Pokémon qui y habitent. Tu n’as jamais travaillé dans le secteur, mais tu t’imagines facilement les changements environnementaux qui auraient pu entraîner des conflits d’usage, les travailleurs de la terre se plaignant que leurs récoltes soient noyées par des Flotajou ou dévorées par les Rongourmand que tu as pu apercevoir depuis le début de ton trajet.
En te rapprochant des montagnes cependant, tu t’éloignes de cette route de goudron et de béton qui finit enfin par se séparer de la rivière pour entrer sur des chemins plus escarpés où tu n’es plus perturbée par la civilisation. Le paysage aussi a changé, le cours d’eau formant de grandes tresses sur lesquelles il t’est possible de te promener – ce qui ne serait pas le cas en temps de crue. Tu laisses Abriko, ton Otaria, hors de sa Pokéball pour qu’il puisse s’amuser et se remettre des frayeurs qu’il a pu vivre avant que tu ne l’adoptes. Tu espères pouvoir l’emmener avec toi lorsque tu pars plonger en mer, mais tu sais qu’il lui faudra quelques mois avant d’être habitué à sa nouvelle vie. S’il est important qu’il puisse te défendre à terme, tu sais qu’il est nécessaire d’être patiente avec tes compagnons, que créer un lien affectif est important pour justement garantir que ces relations restent bénéfiques pour l’un comme pour l’autre.
Observer le Pokémon Eau s’amuser pendant que tu randonnes et arroser une partie de la flore avec son Pistolet à O te rappelle la raison de ta présence ici. Lorsque tu avais commencé à t’intéresser aux Pokémon, c’était principalement sous la facette habituelle : des armes pour des dresseurs ou des militaires, et un lien qui pouvait potentiellement accroître leur potentiel. Puis, sans que cette vision ne soit invalidée, tu as su diversifier tes recherches et questionner la place des Pokémon au sein des villes et des infrastructures humaines, leur intérêt au quotidien en tant qu’outils de travail ou que compagnons affectifs. En ville, tu as été pionnière sur les liens entre humains et Pokémon aidants, notamment dans le cas de handicaps ou de difficultés au quotidien. La montée du terrorisme au sein de l’Empire a récemment remis le sujet au goût du jour et certains de tes collègues se sont intéressés à la façon dont la restriction du port de Pokémon au sein des villes a remanié les perceptions des personnes porteuses de handicap et ayant besoin de s’appuyer sur leurs Pokémon. Tu avais été sollicitée pour travailler avec eux, mais tu as préféré continuer tes propres recherches et sortir des villes pour rejoindre la nature en te demandant notamment comment les liens affectifs et utilitaires se construisaient lorsque les personnes étaient amenées à exercer ou à vivre en dehors du confort des villes – bien réglementé et codifiées – et dans des contextes où l’imprévu était la norme, pour les Pokémon et leurs dresseurs.
Cela t’avait amené à lancer un nouveau programme de recherche tentant de répondre à ces questions grâce à des méthodes participatives. Des journaux de bords, distribués à plusieurs personnes volontaires afin de suivre sur la durée et dans le temps la façon dont se tissent les liens avec de nouveaux équipiers. C’est dans ce cadre que tu as eu le contact d’une jeune ranger nommée Nora et que tu es supposée rejoindre un peu plus en amont de la rivière, vers la fin de sa patrouille. Tu vérifies encore une fois que tout est bon et que tu n’as pas reçu de nouveau messages quant au rendez-vous, puis tu t’hydrates un peu avant de reprendre l’ascension. Tu n’es plus très loin du point de rendez-vous supposé – si tant est que tu l’aies bien identifié – alors tu ouvres tes oreilles et tu restes attentives à la fois à Abriko et aux alentours. Où peut-elle bien être ?
De l'eau et des clémentines
ft. Nora
ft. Nora