Elle sursaute lorsqu'elle est hélée de nulle part, surprise par la présence d'une autre âme en ce lieu désolé.

Le type est presque aussi lugubre que l'endroit, avec son œil en moins et ses mains pleines de terre. La voyant débarquer au petit trot, il se lève et lui propose son aide. Lina hausse un sourcil - en quoi ça le regarde, ce qu'elle vient foutre ici? Mais au lieu de répondre le premier truc qui lui passe par la tête, elle prend deux secondes pour connecter ses neurones. S'il traîne ici sans bouger, c'est soit qu'il est fatigué, soit qu'il est là à sa place. Et puis il y a la crasse et la poussière, entre ses doigts, qu'il essuie consciencieusement. Ce serait pas le fossoyeur du coin, par hasard?

Maintenant correctement branchés, les petits neurones s'agitent. Si c'est le cas, le bonhomme a l'autorité nécessaire pour la dégager de là si elle a l'air trop louche. Et pas question de lui sortir qu'elle fait juste une promenade de santé. Sérieusement, qui viendrait prendre l'air ici par simple envie de profiter du paysage?


- Euh. (Elle marque un instant de pause.) Je sais pas trop. Je fais le tour du cimetière parce que- PUTAIN !


HOU ! Le hululement qui provient du feuillage, au-dessus de sa tête, la fait sursauter. Ressentant immédiatement la nervosité de sa cavalière, Cantarella recule d'un pas, scrute les branches. Au beau milieu de la verdure naissante, le printemps poussif étant en train de faire son office, une boule verte aux yeux inquisiteurs se tient en équilibre, immobile comme pour jouer de son mimétisme afin d'échapper à la potentielle nouvelle menace - mais le Skelenox qui flotte non loin de là rend sa position évidente pour tous. Ne sachant trop quoi faire, la Galopa, elle, se met à luire d'un éclat irisé.


- Non, pas besoin. Doucement. Calme.


La paume de sa maîtresse se perd dans la crinière cotonneuse, apaisant le quadrupède aux teintes chaudes, et l'aura scintillante s'estompe aussitôt. D'habitude, Cantarella serait plutôt du genre à vouloir aller jouer avec le nouvel arrivant; toutefois, les lieux peu familiers ne lui offrent aucun repère, et sa grande sensibilité en fait une éponge émotionnelle qui réagit naturellement au malaise de Lina. Et puis, les branches, c'est haut. Elle sait très bien sauter, mais quand même pas à ce point.

Cet instant de tension passé, la jeune femme lève à son tour le regard vers la boule à plumes, avec un air d'excuse.


- Voilà, c'est rien, tu vois? On te laisse tranquille. (Elle reporte le regard sur le type face à elle, qui attend toujours sa réponse.) Pardon, je me ferai jamais aux cimetières. Je cherchais juste un lieu de recueillement, n'importe lequel. C'est pour, euh... parler à mon père. Il a disparu sans laisser de quoi lui offrir une vraie sépulture. Quand je veux dire des trucs, je trouve un mausolée et, bah, je me débrouille. C'est ici que les morts viennent nous écouter, non?


Un mensonge. La sépulture de son père, elle sait très bien où elle est - une simple urne, qui trône en sécurité dans l'armoire du salon, chez sa mère. Les deux femmes n'ont jamais eu le courage de la placer dans un mausolée adapté, de crainte qu'une nouvelle catastrophe naturelle ne leur enlève, une seconde fois, leur être cher.

Plutôt, ce qu'il en reste.

Mais en débitant ses bobards, elle réalise à quel point le temps a filé vite - à quel point sa dernière confession à son paternel remonte à loin. Elle n'était pas venue pour ça, et pourtant, son inconscient s'est exprimé pour elle. Alors, quitte à être ici, pourquoi ne pas en profiter?

Lorsqu'on s'apprête à commettre un attentat, toute occasion d'apaiser sa conscience est bonne à prendre.