Les pulsations lancinantes à l’intérieur d’mon poing s’estompent doucement, comme au rythme de ses deux pattes, frappant sur cette carrosserie froide et délavée. C’est que cette vieille carlingue avait déjà vécu plusieurs vies, six ou sept environ, et peut-être même encore un peu plus que ça, et que je m’disais qu’elle pouvait bien encaisser encore quelques coups. Alors tant pis, tant pis pour les bosses et tant pis pour les creux, tant pis pour les reflets disparates de la lumière sur ces longues traînées de tôles, qu’importe tout ça… Ce sourire qui s’étend sur le visage de cette petite créature en valait bien la peine. Alors mes lèvres se sont étirées elles aussi, et je lui ai souri en retour, et voilà. La tendresse assez surprenant des percussions, remplissant les plaines et cette brise, acerbe et glacée. Ma tête se penche d’un côté, et il y a du mouvement dans mes sourcils, des airs de surprise sur mon visage qui fondent, un peu comme un tas d’neige au printemps. J’ai la sensation d’entendre la lueur d’un feu de cheminée, et de voir son crépitement, métallique. Il y a de la sensibilité, dans tout ça, dans ce corps rond et chaud, sous ces airs de loubards gauche et dodelinant. Comme un peu de tristesse planquée quelque part, comme une nostalgie étouffée sous des airs désinvoltes qui n’sont qu’autant de tapis sous lequel on dissimule un peu d’poussière. Ça sonne comme une cloche fêlée, qui tinte, comme des souvenirs d’enfances qui ressurgissent, comme une phrase qu’on aurait aimé ne jamais dire, et… « C’est beau, que je murmure, peut-être inconsciemment désireux de n’pas faire éclater ce silence qui s’installe après cette démonstration, tu serais foutu capable de faire chialer pas mal de personne avec ça. » Mais au final, c’est peut-être bien davantage ce sourire qui n’parvient pas à s’échapper de ma tronche qui lui répond plus qu’autre chose. Et j’en viens à comprendre que, s’il n’avait pas voulu chanter, c’est peut-être parce que son véritable langage est là. Dans les percussions, le rythme, et la  saisissante mélodie qu’il parvient à faire naître avec ses deux mains, qui s’contentent de cogner contre une carrosserie.

Alors je m’assois, et je m’retrouve là, avec le cul par terre, au milieu de nulle part, emmitouflé dans cette chaleur qui transpire et qui suinte de partout, et dans cette mélodie qui reprend et qui renait, un peu plus, après qu’un mouvement de tête en vienne à l’inviter à jouer à nouveau. Et qu’importe si l’arène de Maud est derrière moi, et qu’elle a toujours le badge que j’voulais bien lui arracher dans le fond d’une de ses poches. Il y a des instants où il faut savoir s’laisser porter par le courant, et être comme une feuille qui tombe au début de l’automne. J’parle pas de faire confiance à quoique ce soit, ni à qui que ce soit, de prétendument plus grand que nous. Je laisse ça aux autres. Je parle juste de se laisser porter par le vent, de devenir le vent, d’embrasser et de creuser l’absurde. Je ferme les yeux et mes pensées s’laissent, elles aussi, guidées un peu par ça. La surprenante musique de ce Crocogril, son tempo et un peu tout ce que cet air-là et sa mélancolie peut bien m’raconter. Je me souviens. Et je sais qu’Arsinoe n’est pas si loin derrière moi que ça. Bordel, tout ça, ce n’est vraiment rien d’autre qu’une histoire de recul et de saut… je prends un peu d’élan. Et bordel, c’est le pied…