Le monde est bien moins sombre que ce que j’aurais pu le croire. À Ilerda, il ne m’a pas fallu longtemps avant que quelqu’un n'accepte de me faire descendre la piste cyclable jusqu’à Ravenna. En l’occurrence, un motard d’une cinquante d’année, juché sur un prestigieux destrier, sans doute de collection. Si la première moitié du trajet c’était déroulé sans encombre, permettant à mes mirettes de découvrir sans cesse des perspectives que je n’aurais jamais pu qu’imaginer, il nous fallu tout de même faire halte à Corvinium pour refaire le plein de carburant. Il devait être midi lorsque nous arrivions en ville, l’idée de se donner l’après-midi ne sembla pas perturber mon bon samaritain, il avait, semblait-il, besoin de faire quelques emplettes de son côté.

C’était donc pour moi l’occasion parfaite. Je n’avais jamais été aussi proche de la forêt aux séquoias, qu’il me fallait visiter. J’accédais, par le biais d’altagram, au site d’Ode à la Nature, pour en vérifier les horaires d’ouverture, le vendredi convenait effectivement. Depuis que j’avais récupéré à mon nom Iris, une Scalpion chromatique, laissée pour morte dans les rues de Castra Nicia, je n’étais jamais parvenue à entrer en relation avec elle. Ce qu’elle avait vécu dépassait tout simplement mon domaine de compétence et j’en étais arrivé à la conclusion qu’il m’était impossible de l’élever moi-même. Tout de même attachée à cette découverte fortuite, je ne pouvais cependant me résoudre à la céder à un tiers. C’est là que j’eus l’idée de me renseigner sur d’éventuelles pensions et que le nom d’Ode à la Nature sembla ressortir comme une valeur sûre.

Il était donc temps pour moi de remplir mes obligations envers cette créature, obligations que j’avais accepté d’endosser dès le moment où j’avais concédé de l’amener recevoir des soins plutôt que de rapporter sa carcasse au commissariat, ce qui m’avait mené à la capturer pour régulariser sa situation et qu’elle puisse bénéficier de soins complémentaires, si besoin. J’appliquais donc à la lettre les indications des propriétaires pour me rendre jusqu’au refuge, m’enfonçant dans la forêt sur une route assez rustique, jusqu’à deviner ce qui devait être un large corps de ferme en pierre, habillé d’une toiture en bois. Plus je m’avançais au-devant de cette bâtisse, plus le parfum des fleurs m’enivra. Il y avait là, pléthore de variétés, se mêlant harmonieusement au nez comme à l’œil. Bientôt, j’aperçus une arche qui finit de balayer mes doutes, s’il en restait, y pendait l’enseigne du refuge, comme une évidence.

J’empruntais un chemin pavé grossièrement, pour me rendre jusqu’à un coin de jardin, tout aussi charmant que le reste. Un écriteau m’indiqua la marche à suivre. Je caressai l’un des battants, délicatement, sans qu’il n’entre en collision avec les autres, comme pour en saisir la symbolique. Tout ici à mes yeux respirait un mysticisme dépaysant, une douceur de vivre enchanteresse. Ce pourrait être le bon endroit pour apaiser les stigmates d’Iris… Je finis par laisser mes doigts maladroitement chahuter avec les battants du carillon pour faire retentir une mélodie cacophonique. Suis-je la fausse note de ce tableau idyllique ?