Visiter le littoral à cette période de l’année n’était pas forcément la meilleure des idées pour une vieille de son âge. Comme si Artémis avait eu le choix ! Alecto et Karcher avaient insisté, pourrissant chacune de ses parties de Tekken. Oui c’est vrai, mémé n’était pas sortie depuis longtemps. Et alors ? Mais la vieille avait fini par céder, certaine que contempler l’eau de loin suffirait à ses pokemon. Quelle erreur. C’était Karcher qui l’avait attrapée, la trimbalant comme un sac de patate malgré ses hurlements agacés. Pour lui mettre les pieds dans l’eau, convaincu que mémé finirait par apprécier, comme lui. Sauf que mémé, elle avait des chaussures elle.

L’ancienne fulmina et regagna la plage, rouspétant à qui voulait bien l’entendre qu’elle ne prendrait plus jamais de pokemon eau à ses côtés ! C’est à ce moment précis qu’elle l'aperçut dans le ciel. Celebi. Flottant gaiement, virevoltant, faisant un coucou à Artémis. La vieille dame lui fit coucou à son tour, lentement, sidérée, bouche grande ouverte. Ca, c’était pas commun. Surtout au nord-ouest de Maeston ! Mais son attention se reporta instantanément vers son pied, d’où lui provenait une vive douleur. L’ombre disparut aussitôt. Laissant mémé perplexe. Bien.

Apparemment, Artémis avait marché sur un oursin, vu la douleur lancinante qui pulsait dans son petit peton. Ou un hérisson. Vert. Un Shaymin ? Alors là, ça devenait louche. Artémis n’osa plus bouger, respirant à peine. Deux pokemon fabuleux en une seule journée ? Décidément, ses pokemon avaient eu raison de la traîner au littoral ! Où étaient-ils passés d’ailleurs ? Qu’importe. Mémé attrapa sa plus belle pokeball, et l’envoya sur le Shaymin … qui devint un magnifique fraisier ? L’ancienne avait peut-être respiré des substances étranges dans le camion d’Ailbhe, malgré elle. Parce que cette histoire devenait très bizarre. Comme si de rien n’était, Alexis apparut à ses côtés, une fourchette à la main, impatiente de croquer le fraisier.

▬ NON Alexis arrête, c’est Shaymin !

Artémis se jetta sur la femme enceinte pour protéger le pokemon, quand la jeune femme se transforma à son tour en une immense tasse en porcelaine. Avec une bouche. Et avec des dents.

▬ Artémis, tu l’as laissée me briser, TU m’as brisée !

Flûte, mémé reconnut la tasse qu’Alexis avait cassée il y a de ça une éternité ! La vieille prit ses jambes à son cou, son pied toujours douloureux. Mais la tasse était bien plus rapide. Le ciel s’assombrissait, le vent se levait, les vagues gonflaient. Oui, Artémis allait mourir, bouffée par une tasse. Ce n’était pas tout à fait le genre de fin que la vieille espérait. Mais on ne choisit pas toujours sa façon de mourir. Au même instant, quelque chose vint la happer vers le ciel, plantant ses serres dans les épaules ridées de mémé.

▬ Artikodin ?

Bah oui ma foi, pourquoi pas ! Le pokemon semblait en colère, très en colère. Artémis pensait qu’il venait la tirer de ce mauvais pas, mais visiblement le pokemon avait d’autres projets. Pourquoi voulait-il se venger ?

▬ C’est à cause du fossile ? Celui qu’on a trouvé avec Even ? Mais on a rétabli la paix, on a …

Pas le temps de finir sa phrase. La tasse avait disparu, le sol rétrécissait … à combien de mètres de la terre était-elle ? Pouvait-elle encore respirer ? Et d’un regard à l’Artikodin, Artémis comprit. Elle comprit que le pokemon allait la lâcher. Elle comprit que le pokemon allait la tuer. Son corps pesait lourd, sa vitesse ne cessait d’accroître, et pourtant la chute dura une éternité. Les nuages. Les montagnes. Les arbres. Le sol. La promesse d’une chute fatale. La vieille ferma les yeux un instant, attendant le violent impact qui s’imposait. Mais qui ne vint pas. A la place, elle traversa le sol, pénétrant au cœur même de la Terre. Elle voyait les racines, les insectes, les ossements. Alors Artémis nagea. Elle nagea vers la surface, vers l’air libre, vers l’oxygène qui remplit les poumons.

Et là ce fut Groudon qui attrapa mémé directement par la tignasse ! Il l’envoya valdinguer en l’air sans ménagement. Artémis aurait bien versé une petite larme, si elle en avait eu le temps. Avec toutes ces péripéties, son petit cœur ne tiendrait pas indéfiniment. Personne ne la croirait si elle racontait tout ce qui lui était arrivé. Enfin, si elle survivait suffisamment longtemps pour le raconter. Le pokemon s’ébroua, avant de charger mémé. Celle-ci allait fermer les yeux, acceptant sa fin, quand un arc se matérialisa à ses pieds. Sans réfléchir, notre héroïne s’en saisit, et sa flèche se logea directement dans l’oeil droit du Groudon. Il tomba dans un grondement de lamentation, et tout s’arrêta. Le ciel s’éclaircit. La tempête disparut. Les vagues retrouvèrent leur calme. Seul le pied de mémé persistait à se noyer dans la douleur.

La vieille aperçut Karcher au-dessus d’elle, qui lui faisait du vent. Elle était trempée, allongée sur le sable. Elle remarqua ses traces de pas. Et la chaleur de son front. Apparemment le Tortank avait tenté de la réveiller avec une attaque eau. Alors tout ça n’était qu’un vilain cauchemar ? Quand avait-il débuté ? Était-ce la chaleur ? Le choc thermique provoqué par l’eau glacée du littoral ? Artémis se redressa au grand soulagement de Karcher. Là elle fixa Alecto, qui lui mordait les orteils depuis un certain temps apparemment. La voila l’origine de la douleur.

▬ … NON MAIS CA VA OUI ? CHUI PAS ENCORE CREVEE ESPECE DE VIEILLE PANTOUFLE TROUEE !

Artémis envoya une bonne poignée de sable au visage du Jungko, qui était convaincu que son intervention avait sauvé sa dresseuse. La vieille sentit une immense fatigue la terrasser. Elle se jeta dans les bras de son Tortank, réclamant un câlin d’urgence.

▬ J’ai fait un très très mauvais rêve, on peut rentrer maintenant ?

Le pokemon ne comprenait probablement pas tout, mais devant la détresse de sa dresseuse, il accepta de rebrousser chemin. Alecto récupéra un étrange paquet, avant de les suivre. Que s’était-il donc passé ? Mémé avait-elle fait une sieste ? Etait-elle somnambule ? Avait-elle trouvé ce petit trésor au cours de sa crise ? Difficile à dire.