Seul dans l'entrepôt, Felipe patiente, s’impatiente même. Aux aguets, il n'entend rien alors que l’obscurité prend ses aises dans l’usine délabrée. Pas de véhicule descendant la route rocailleuse. Pas de bateau s’approchant par la côte. Il grince des dents à l’idée de perdre son temps, mais pire encore, à l’idée que tout ceci ne soit bel et bien qu’un traquenard. Il lâche un soupir, s’apprête à s’extirper de ce bourbier quand un bruit particulier ne l’arrête dans son élan. Face à lui, déchirant l’espace, un homme apparaît. Masqué et accompagné d’un pokémon étrange, probablement celui permettant à l’inconnu ce tour de passe-passe grandiloquent. C'était une belle entrée, suffisante du moins pour apaisé un temps la colère du chef.

Silencieux, le chef de cellule observe l’oiseau difforme et son interlocuteur. Son masque est… Singulier ? Étrange. Sa voix, inhumaine, transformée par un modulateur dissimulant son timbre ou même s’il avait un accent. Il était cependant que ce “Wendigo” était un homme, que cela soit sa stature ou sa façon de se mouvoir dans l’espace. Aidé de son pokémon il s’était téléporté de-ci de-là dans l’usine, vérifiant probablement lui aussi qu’il n’y avait pas de menace cachée. S’il en avait eu le temps, peut-être que Felipe aurait en effet installé quelques caméras et micros afin de pouvoir se passer et repasser ce qui allait se dérouler ici plus au calme dans une de ses planques. Essayer de décortiquer la scène sous différents points de vue, capter le moindre détail, s’assurer qu’il ait pu obtenir toutes les informations possibles. Malheureusement, il allait devoir se contenter de ses sens et de sa mémoire.

Il garde le silence, alors que la valise contenant le “cadeau” de son interlocuteur glisse sur le sol. Il la considère un instant. Feignant l’ennui, il fait un pas, puis un autre. Il s'approche de l’objet qu’il prend, sous-pèse et ouvre délicatement. Pas de bruit étrange. Pas de bombe dissimulée ou autre. C’est déjà ça. À l’intérieur, quelques disquettes, probablement ces fameuses crypto-monnaies dont on parle tant. Pory-coins, Luca-ryos, Reunirium, il y en avait tellement maintenant. Sensément intraçable et utilisée la plupart du temps dans les affaires les plus sordides sur le world wide web. Felipe prend une des disquettes, la secoue mollement entre ses doigts. Pratique. Mais il ne les utilisera pas. Du moins pas pour le bien de l’Armée. Son œil quitta la disquette pour se poser sur le Porygon Z. Ces créatures avaient fait d’internet leur domaine, c’était dans le champ des possibles qu’un pareil pokémon puisse retrouver la trace de cet argent virtuel s’il savait quoi ou où fouiller. La paranoïa, toujours, mais c’est ce qui lui permet de rester en vie dans sa lutte. Il avait quelques idées pour utiliser cet argent qu’il considérait comme sale. Mais cela sera pour plus tard. Il devait d’abord survivre à cette entrevue et jeter la mallette si gentiment offerte par le géant à l’autre bout de la pièce. Car s’il avait été dans ses bottes le cuistot aurait collé un mouchard à cet attaché-caisse. Les gens s’arrêtent rarement à ce genre de détail. Pas lui.

Reculant de quelques pas, la mallette dans la main, le révolutionnaire laisse l’autre déroulé son discours dans un silence courtois et professionnel. Son visage fermé acquiesce de temps à autre, encourageant Wendigo à continuer son récit. Il absorbe les informations, les traite et tisse ses propres spéculations. La première reste qu’il avait bien fait son travail avec le “contact”, l’homme ne semblait pas savoir ce qu’il était advenu du jeunot qu’il avait bousculé pour obtenir cette entrevue. Une carte à jouer. C’est un impérial, de ça, Felipe n’avait que peu de doute, mais les dires du téléporté confirmèrent son à priori. Toutefois, Wendigo se prouva être quelque chose de pire qu’un impérial : un capitaliste. Il se faisait le porte-parole d’entreprises visiblement trop faibles pour prendre de front les géants de l’économie de Maeston. Un consortium qui, visiblement, cherchait des moyens détournés pour rebattre les cartes. Felipe ne put s’empêcher d’avoir un léger sourire. Ils devaient vraiment être désespérés ou avides pour s’essayer à la clandestinité avec l’Armée Révolutionnaire.

— Des Caninos qui se rêvent Lougarocs. Plutôt osé pour le groupe que vous représentez de vouloir s’acoquiner avec les vils révolutionnaires de Callero.

Si ce discours n’était pas un ramassis d’inepties, il n’était pas compliqué de voir le chemin que les maîtres de Wendigo cherchaient à emprunter. Il est vrai que les piliers économiques de l’Empire sont détenus par des nobles aux liens plus ou moins étroits avec la famille impériale. Des familles qui, entre autres, exploitent grassement Callero. Hé, l’usine dans laquelle ils se trouvaient en était le parfait exemple. Les bateaux titanesques de l’empire ont ratissé les côtes du coin avec leurs filets gargantuesques. Engloutissant cupidement quasiment toute la population de froussardines, ce qui amena à la faillite des pêcheurs locaux, les obligeant à s’enrôler dans les nouvelles conserveries bâties pour l’occasion. Tout cela pour mettre ces poissons en conserve et les envoyer aux quatre coins du pays. “Le bon goût de Callero”, le chef se souvient encore du slogan débile de cette conserve. Sauf que l’appétit sans fin de Maeston mena les froussardines proches de l’extinction. Il fallait pêcher de plus en plus loin, rendant les usines désormais obsolètes. Et les fameux pêcheurs destitués et devenus travailleurs au service de ceux les ayant assujettis économiquement se retrouvèrent complètement délaissés. Cette tangente conclue, Felipe n’avait aucun doute que l’objectif de Wendigo et des siens étaient de prendre la place des fameux piliers économiques de l’Empire. Laissant miroiter à la naïve rébellion qu’elle serait récompensée pour service rendu. Mais ce n’est que troquer une chaîne pour une autre.

Non, il ne pouvait définitivement pas faire confiance à cet homme, ses supérieurs et ses objectifs. Mais il pouvait jouer le jeu un temps. Utiliser ce qui semble être une ressource financière intarissable et d’informations intéressantes en échange de menu service.

— Vous piquez mon intérêt. Je suis curieux de voir quelle sorte d’aide les vôtres souhaitent. Sinon, j’en oublie mes manières, vous pouvez m'appeler Roucoups. Ravi de faire votre connaissance Wendigo.

Il affiche le sourire le plus niais du monde avant de faire une brève révérence. Oui, curieux de voir où cette nuit allait le mener.