Philippe est le fils d’un officier de l’armée impériale et d’une universitaire de Syenne. Né dans une famille privilégiée, rien ne le destinait à être autre chose qu’un dominant dans cette région si particulière de Maeston qu’est Callero. Il se souvient de ses jeunes années, du départ de sa famille loin de la villa familiale lors du Cataclysme, son père étant rappelé à la Capitale. De ce convoi militaire grandiose, cette fuite en avant, délaissant la population locale dans une période de chaos total. Il se souvient de la discussion animée entre sa mère et son père la veille du départ. “Les ordres sont les ordres.” cette phrase froide que son géniteur lâcha après avoir giflé sa femme. Il se souvient des tableaux, statues et autres œuvres d’arts qui étaient déplacés par les soldats, entreposés dans leurs camions pour être acheminés jusqu’à Castra Nicia. Des rires benêts des militaires pliant avec joie la culture d’un peuple dominé depuis des décennies et qu’ils laissaient livrés à eux-même. Il n'était âgé que de quelques années, mais Felipe savait que tout ceci était…Injuste ? Amoral ? Il ne saurait décrire, aujourd’hui encore, cette sensation de saleté, comme s’il s’était roulé dans la boue, comme si être le fils de l’homme menant cette “opération de sauvetage” était un déshonneur profond sans qu’il ne comprenne complètement pourquoi. Sans doute était-ce les pleurs de sa mère qui lui fit comprendre que ce qu’il voyait n’était pas normal, pas bien…

Philippe passa le reste de son enfance à la capitale impériale. Jouissant d’une éducation privilégiée grâce aux connections de son père, la vie du jeune garçon n’était pour autant pas des plus joyeuses. Sa mère restait cloîtrée dans la demeure familiale, refusant tout contact avec les domestiques et sa propre famille. L’enfant l’apercevait quelque fois, à travers le trou d’une serrure ou depuis une fenêtre, cette femme ruinée par un chagrin infini et qui se laissait dépérir d’années en années. Elle quitta ce monde en 2007, dans une discrétion étouffante. Son père refusa de le laisser la voir une dernière fois. Même l’enterrement se fit rapidement et dans le secret. Les domestiques parlaient entre eux d’un suicide voire d’un meurtre. Certains étaient contents que cette étrangère lugubre ne soit plus là. S’amusant qu’au final, son absence ne se fera pas remarquer. Et sans elle, le père Feliz pourrait enfin se marier avec quelqu’un digne de son statut. Un souhait rapidement réalisé, quelques mois après la disparition de son épouse, l’officier annonça à son fils qu’il aurait désormais une nouvelle mère. C’est durant cette période que l’enfant senti une autre forte émotion éprendre son être : la haine. Il haïssait ce monde de paraître, ces gens obséquieux et ce père froid et calculateur. Cette haine se porta naturellement à tout ce qui lui était lié, l’armée, l’empire et cette nouvelle famille de la petite noblesse qu’il essayait de bâtir sur les restes d’une femme qu’il avait brisé.

Philippe est un adolescent comme les autres, ou presque. Cancre de la dernière heure au sein de l’Académie Impériale, il ne se passe pas une semaine sans que sa fainéantise ou sa bêtise n’irrite son glorieux père. Il joue les benêts et s’est découvert un don pour paraître plus stupides qu’il n’est. Ce masque d’imbécile lui permet de juger véritablement les autres, car il a compris bien vite que les autres montrent leurs vrais visages dès lors qu’ils pensent avoir l’ascendant. Professeurs, camarades de classe, le jeune homme était désabusé de voir jusqu’où mesquinerie et haine pouvaient aller. Car ses origines calleriennes étaient pour beaucoup de ces adolescents privilégiés de l’Empire une tare à corriger souvent dans l’humiliation ou la violence. Le seul refuge que le garçon avait était l’ancienne chambre de sa défunte mère. Laissé en état pour ne pas dire à l'abandon. Les domestiques avaient interdiction d’y mettre les pieds sous ordre du patriarche, faisant de cette pièce un endroit suspendu dans le temps et la poussière. Ici Philippe lisait les livres de sa mère, ceux qu’elle avait étudiés durant ses années d'universitaire, ceux qu’elle avait écrits avant de rencontrer son père. Des lectures qui étaient comme un dialogue avec cette femme qu’il n’a que trop peu connu. Elle était une philosophe, étudiant les traités anciens tout comme les courants de pensées plus récents, qu’importe leurs origines. Des études mal vues au sein de l’Empire et sa culture monolithique, surtout quand une partie de ces écrits portaient sur la pensée communiste du régime de l’URSS ou encore les religions autre que l’église d’Arceus. A travers la plume de sa mère Philippe éveilla sa conscience politique, comprenant la réelle nature de cet Empire pour lequel il n’avait aucun amour. Et sa haine envers son géniteur ne fit que croître encore lorsqu’il lisait les carnets plus privés de sa mère où il voyait cette jeune femme idéaliste et innocente être courtisé par ce soldat aux paroles d’argent. Comment au fil des ans elle se convainc elle-même qu’il agissait pour son bien et celui de leur famille. La désillusion face à la réalité des faits, elle n’était guère plus qu’un trophée, une prise “exotique” qui était devenue une gêne maintenant que ses aspirations politiques se portaient sur la capitale et sa faune d’aristocrates et de nationalistes. Elle avait décidé de choisir sa propre fin. Ses derniers mots lui était destiné, elle faisait part de ses regrets, de cette crainte insensée qu’elle avait à son égard car il ressemblait trait pour trait à son père, de son souhait qu’il ne devienne pas comme cet homme et de ses excuses de ne pas avoir la force de continuer cette existence dénuée de sens.

Il avait repoussé le plus possible ce moment qu’il savait d’avance pénible. Mais personne n’échappe à l’Empire, encore moins le fils d’un haut-gradé. Du haut de ses 21 ans Philippe se retrouve donc à faire son service militaire. Envoyé sur sa terre natale de Callero en pleine reconquête, le jeune homme était plus désabusé encore. Malgré ses redoublements et sa fugue, rien n’y fait, le voilà en uniforme à brailler pour la gloire de l’Empire chaque matin. Son masque de fainéant stupide lui serva pour se faire passer pour un véritable bon à rien dans les rangs de cette armée qu’il détestait. Il a connu bon nombre de tour de garde nocturne supplémentaires, corvées ménagères et autres humiliations. Des tâches ingrates, mais préférable à devenir un énième pantin de l’Empire. Et parmi ces tâches, l’une d’elle attira peu à peu son attention : la cuisine. Une passion singulière qu’il cultiva tout au long de cette année volée pour Maeston. Sans surprise, l'armée ne garda pas ce cancre bon à rien dans ses rangs une fois son service terminé. Sans surprise, son père coupa les ponts avec cette déception qu’était ce fils indigne. Désormais à la rue dans cette ville qu’il n’avait vu que bambin, Philippe décida de se réinventer. Il abandonna le nom de son père pour Feliz, celui de sa mère, adoptant également une version plus locale de son prénom. Felipe Feliz, un nom qui sonne bien.

Felipe Feliz est une célébrité locale. Chef cuisinier réputé, il a travaillé dans les plus grands établissements de Syenne et cela depuis plusieurs années maintenant. Outre ses talents culinaires, c’est son côté simple et son sourire radieux qui ont fait de lui la coqueluche de la bourgeoisie de Callero. Outre son restaurant gastronomique, Felipe écrit bon nombre de livres de recettes et possède également une émission télévisée où il enseigne à ses spectateurs des plats simples à préparer. En somme, il a réussi à bâtir une bonne réputation depuis la fin de son service militaire. Une réputation irréprochable pourtant entachée par ses prises de positions au sein du Mouvement de libération de Callero. Il est très vocal, usant de ses moyens et de sa notoriété pour aider ce mouvement. Il prône la paix et l’intégration de Callero au sein de l’Empire notamment en encourageant leur représentation au sein du Sénat impérial, seule solution pour que le chaos qui ronge sa région ne cesse. Un message qu’il arrive à faire entendre à ses clients fortunés les plus modérés. Un message qui irrite certaines instances impériales ayant bien du mal à agir contre le chouchou de bon nombre d’aristocrates. Il eut quelques tentatives, des enquêtes, des perquisitions et autres atteintes à sa liberté qui étaient toutes sauf parfaitement légales. Malgré cela Felipe s'est toujours montré coopératif avec les forces de l’ordre, renforçant l’idée qu’il était persécuté injustement pour ses prises de positions pourtant loin d’être anarchiste…

Et de cela Felipe joue grandement. De sa bonne image auprès du peuple mais surtout des bourgeois locaux. Ces parasites qui s’engraissent et gentrifient chaque jour un peu plus sa cité natale forment le parfait bouclier pour que dans l’ombre le chef puisse agir. Car Felipe est bien membre de l’armée révolutionnaire. Engagé de la première heure, il sût user de sa notoriété et de ses finances pour épauler au mieux et secrètement le groupe. Au fil des ans, il grimpa les échelons jusqu’à obtenir le commandement de sa propre cellule. Toutefois sa présence en son sein reste un point de tension pour beaucoup, car malgré sa haine véritable pour l’Empire Felipe condamne tout acte de violence. Il sait que la violence n’est en rien une solution pour bouter hors de Callero l’envahisseur, bien au contraire. L’Empire est fanatique et affamé de guerre, répandre le sang de ses soldats n’est que l’inviter à agir avec toujours plus de force contre le peuple callerien. Il faut l’attaquer sur d’autre front et c’est pour cela que Felipe a spécialisé sa cellule dans le trafic d’information, l'espionnage et la propagande. Il s’assure que chaque jour les faits les plus sordides de l’Empire soient sût de tous. Que les rumeurs que se partagent les hauts-placés à ses tables soient transmises aux autres cellules. Son travail est quelque part bien plus dangereux que ces comparses, plongeant chaque jour sa main dans la gueule du Démolosse sans savoir si ce dernier finira par la lui arracher. C’est pour cela que Felipe est très vigilant quant à la discrétion de ses “soldats”, plus que dans les autres cellules le secret est de mise chez lui. Car même s’il n’est point violent, il n’hésitera pas à emmener en enfer ceux menaçant sa vision d’une Callero libre et indépendante.