Je pose mon sac et mon cul par terre, un genou relevé contre moi, et je fouille à l’intérieur de ce vieil amas de tissu soigneusement cousu, et assez grossièrement rafistolé. Que tout ça finisse peut-être bien par retomber dans l’silence ne compte pas vraiment. L’important est dans la mobilisation et dans la réunion autour d’une cause commune. Tout ça, c’est un peu comme enfoncer une porte en bois à grand coup d’épaule, et elle cèdera pas aujourd’hui, cette foutue porte, mais on se jette quand même contre elle. Ensemble. Et moi, je tire une canette de bière de ce sac, et je commence à la craquer. C’est une sorte de potion. L’aluminium devient subitement plus mou, quand les gaz prisonniers à l’intérieur s’font la malle. Je prends alors la première gorgée de bière de la journée là-dedans, et c’est légèrement amer, il y a des notes de fruit tropicaux, des notes de mangue et d’citron dans son parfum, mais plus quelque chose comme des arômes de biscuit en bouche, avant que le houblon n’débarque. Un soleil hivernal se pointe pour frapper timidement mon épiderme, et j’aime assez les couleurs curieusement chaudes qu’il dépose sur les gens et sur les choses.
Ça commence à jacasser un peu partout, et ça chante aussi. Des panneaux colorés se montrent de part et d’autres du rassemblement. Les manifestants s’assoient, que ce soit aux côtés d’amis, de voisins, de simples connaissances ou d’parfaits inconnus et, d’un peu plus loin, tout ça pourrait bien ressembler à une cérémonie assez bizarre, à un cérémonial païen ou à quelque chose d’autre comme ça. Désormais, ce sont des dos que je contemple. Des dos ronds et des épaules carrées, des silhouettes plus fines, des crânes bombés et parfois dégarnis, ou alors des cheveux plus longs qui tombent et qui tombent comme un long jour de pluie… Je tourne paresseusement la tête quand j’entends que ça parle à côté de moi, comme attiré par un peu de curiosité, ou par un peu de miel dans un pot d’yaourt. Et mes yeux, ils se retrouvent comme pris sous une soudaine averse violine. « Qu’importe où chacun s’installe, que j’commence alors à répondre sans vraiment y avoir été invité, à la limite, l'important, c’est peut-être d’essayer d’éviter de s’asseoir à côté de quelqu’un qui a l’air malade, ou trop transpirant, ou ce genre de truc… ». Je hausse les épaules, avant d’montrer d’un mouvement de tête les casernes qui se dressent en face de nous. « C’est au cas où ils décident de nous déloger par la force, que j’ajoute après avoir marqué une pause assez courte, le meilleur moyen pour les faire chier, ce sera alors de s’accrocher les uns aux autres, et d'faire en sorte de n'pas lâcher… » Un sourire s’esquisse alors sur mon visage, et je sens bien qu’il y a comme quelque chose de malicieux dans ce rictus, et quelque chose de goguenard dans les intonations qu’ma voix peut prendre. « Il y arriveront, coûte que coûte, que j’en viens à conclure, mais bon, tout ce qu’on peut faire pour ne pas leur faciliter la tâche, à mon sens… je dirais que c’est déjà ça de pris... ». Et je fais glisser un nouvelle gorgée de bière dans l’fond de ma gorge en m’disant que, ouais, ils arriveront bien à nous déloger de là si jamais tout ce cirque ne leur plait pas, mais que l’important n’est pas seulement dans la mobilisation et dans la réunion autour d’une cause commune. Mais aussi dans la beauté du pied d’nez.
HRP
Ailbhe arrive sur le lieu du rassemblement, il s'assoit et il s'installe, avant d'répondre à la question de Noëlle qui ne lui était peut-être pas tellement adressé.