Cynthia semblait d’accord avec les propos de son compagnon. « Allons-y ! s’exclama-t-elle alors que son Lucario se relevait d’un bond, le museau plein de miettes, Par contre, si je croise une Vaututrice… c’est à vue. Ces trucs-là sont de vrais dangers publics. » Elle semblait presque boudeuse en prononçant ces mots. Une expérience passée emplie de mauvais souvenirs, sûrement. « Je m’en occuperai », affirma le diplomate en retour. Autant éviter de blesser les Pokémon si les choses pouvaient se régler autrement que par la violence. Chrysanthème était une experte en la matière.

Face à la main tendue de Gento, la championne hésita, avant de s’en saisir. Alors que Cynthia se hissait sur le dos de Lycoris, sa Bébécaille hurla à la mort, comme si elle était dévorée vivante. « Ah. Oops, s’amusa sa dresseuse, elle va arrêter d’ici quelques minutes, le temps qu’elle se rende compte qu’elle est pas en train de mourir. » Une étrange petite créature. Sonistrelle, aux oreilles sensibles, s’était cachée dans le manteau de son dresseur pour échapper aux cris perçants de la petite dragonne. Comme promis, toutefois, elle finit par se calmer une fois lovée contre Cynthia. « On peut y aller, votre Sonistrelle pourra la rassurer sur le chemin, assura la jeune femme, vous l’avez depuis longtemps ? »

Gento tapota gentiment son manteau pour signifier à la chauve-souris en question de sortir. « Tout va bien, elle a cessé de crier. » Les oreilles encore bourdonnante, la Sonistrelle passa la tête à l’extérieur, écoutant attentivement, avant de se rendre compte qu’en effet, le calme était revenu. Elle en roucoula d’aise avant de se risquer à l’extérieur, grelottant de toute part, pour se percher sur l’épaule de Gento, observant la dragonne apeurée blottie contre Cynthia. « Je l’ai depuis… Quelques jours. Elle était blessée dans la mine, je n’ai pas voulu perdre plus de temps. Je compte me renseigner sur la réhabilitation des espèces sauvages dans la nature, pour la ramener lorsqu’elle sera guérie. » Le bandage effectué rapidement par Sera ce jour-là avait été remplacé par un bandage plus solide au centre Pokémon de Nepthe. Le petit Pokémon devrait passer de nombreux examens dans les prochaines semaines pour s’assurer du rétablissement de son aile. En attendant, Gento était responsable de s’occuper d’elle.

Une fois les deux humains et leurs Pokémon sur le dos, Lycoris partit en trombe à travers la neige, traversant les étendues immaculées avec grande facilité. Eridu avait pris la tête du groupe, devançant la jument, qui s’assurait de calquer son pas sur celui de l’éclaireur. Cela sembla rassurer la Bébécaille de Cynthia, qui se déplaça des genoux de sa dresseuse vers ceux de Gento, où logeait déjà Chrysanthème. Cette dernière gazouilla joyeusement à l’arrivée de cette nouvelle amie. Le trio de petits Pokémon profita du long trajet pour chanter avec engouement. Le diplomate avait presque instinctivement passé un bras autour de la Bébécaille, s’assurant que cette dernière ne tombe pas de cheval en cours de route, comme il avait l’habitude de la faire avec Chrysanthème au tout début.

Au bout de plusieurs heures, Eridu s’arrêta auprès du flanc d’une montagne. Lycoris lui emboîta le pas, et s’arrêta à son tour. Le chemin était ouvert sur le vide. Les vents battaient sur le flanc de la montagne en de nombreux courants d’air capables de faire perdre facilement l’équilibre aux plus inattentifs. « Lycoris devrait pouvoir passer mais je pense qu’il vaut mieux descendre de son dos », intervint Cynthia. Gento hocha la tête avant de mettre le pied à terre, tenant toujours la petite Bébécaille dans ses bras. Chrysanthème sauta au sol seule, s’enfonçant dans la neige, en projetant sur Cynthia, près d’elle, dans sa chute. La Ptiravi ricana avant de s’ébrouer, se débarrassant de la neige. Gento, lui, lança un petit regard à la championne, qui le lui rendit. D’un accord tacite, il sortit la Pokéball que lui avait offert la jeune femme. Il prit soin de rentrer Lycoris dans sa propre Pokéball avant de sortir son nouveau compagnon.

Le Libégon en sortit en bourdonnant, agitant ses ailes pour se prémunir du froid. Ses yeux se posèrent sur les humains alentours, et il poussa un petit cri en apercevant Cynthia. Le nouvel humain fut observé avec grande curiosité. « … Elle est magnifique », souffla le diplomate, impressionné par les marques rouges qui parsemaient son corps. Il approcha une main du visage de la dragonne, qui la renifla avant d’accepter l’attention donnée par ce nouvel humain. Un léger sourire flotta sur les lèvres de Gento. « C’est trop d’honneurs », reprit-il, réellement touché. Chrysanthème gazouillait aux pieds de cette nouvelle venue, bien décidée à grimper sur son dos. Peut-être serait-elle un toboggan comme Kas ? Elle ne voyait aucun klaxon sur son dos, alors c’était à ses yeux la route à emprunter pour s’amuser avec cette nouvelle amie.

« Merci infiniment, exprima le diplomate avec une sincère gratitude, nous allons pouvoir traverser grâce à son aide. » L’homme exprima cette idée à la Libégon, qui se laissa faire calmement. Elle avait été visiblement très bien dressée. Une fois sur le dos de la dragonne, Gento hissa Chrysanthème devant lui, bien calée entre ses bras, tandis que Sonistrelle retournait se cacher dans son manteau, vaincue par le froid. Cynthia avait son propre moyen de traverser.

D’un battement d’aile puissant, la Libégon s’envola, s’aidant des directions données par Eridu, suivant ce compagnon qu’elle connaissait déjà pour se guider à travers les neiges et le vent battant. Cynthia suivait de près, et il ne fallut que quelques instants pour que les humains ne soient déposés devant une grande cour entourée de murs. Un gigantesque arbre de glace était visible derrière la pierre gelée, imposant. Gento dut retenir son souffle un moment.

Paralysé sur place. Ce sentiment de petitesse infinie qui revenait sans cesse. Minuscule face au reste de la Création. Remplaçable et oubliable.

Il sourit.

Mais ce sourire s’effaça bien rapidement.

Depuis l’enceinte fermée, accessible par une lourde porte déjà ouverte, des pleurs résonnaient. De longs sanglots mélancoliques, emplis d’une tristesse infinie. Les pleurs d’un cœur déchiré en deux. Les pleurs du deuil. Sans vraiment réfléchir, le diplomate commença l’ascension jusqu’à l’arbre. Il se rappelait la branche trouvée dans les souterrains, et Lycoris qui attendait. Du monde qui l’espace d’un instant avait comme semblé graviter autour de lui dans un bourdonnement incessant. Il était sourd aux éventuelles protestations de Cynthia ; à cet instant précis, même les gazouillis de Chrysanthème avaient cessé d’exister. Gento n’entendait que les pleurs incessants. Encore une fois, il se sentait presque appelé par cet arbre étrange.

Dans un coin de sa tête, il se jura de devenir botaniste, une fois à la retraite. S’il survivait jusque-là.

C’est essoufflé qu’il arriva en haut des escaliers, presque au bord de l’épuisement. Les murs entouraient vraiment un gigantesque arbre de glace, et les Vaututrice volaient en cercle autour de l’arbre, en signe de mauvais augure.

Couché auprès de l’arbre, un Meganium complètement fané pleurait. Sans remarquer la présence des humains derrière lui, il pleurait, pleurait encore, dans une litanie sans fin. Gento sut que même lorsqu’il serait flétri au point de s’émietter, il continuerait de pleurer. Lorsqu’il serait mort, même dans l’au-delà, ses sanglots continueraient de l’étouffer.

S’approcher d’un Pokémon sauvage était dangereux, mais pourtant le diplomate s’approcha tout de même. Et une fois arrivé à la hauteur de la créature endeuillée, il passa une main sur sa tête, caressant doucement le Pokémon dans un geste lent, réconfortant. Sans cesser de pleurer, le Meganium se contenta de poser la tête sur les genoux de Gento, une fois celui-ci accroupi près de lui. Ce dernier continua de caresser sa tête, ne désirant pas quitter le chevet de la créature endeuillée. Ignorant toujours Cynthia derrière lui – il avait même fini par devancer Eridu, d’une quelconque façon – il rassura doucement le Pokémon. Sa voix était très douce, semblable à la façon dont il s’adressait parfois à Chrysanthème. Cette dernière, chagrinée également par l’état du Pokémon plante, avait libéré son Aromathérapie pour l’aider à se calmer.

Bientôt, le Meganium n’eut plus assez de larmes, et se contenta de hoquets silencieux. Ce fut à ce moment que le diplomate sembla sortir de sa transe et se tourna vers la championne de Carteia, comme s’il venait de se rappeler qu’il n’était pas seul. « Elle ne devrait pas se trouver ici. Ces montagnes sont bien trop froides pour un Meganium. » Un simple constat, mais l’inquiétude dans sa voix révélait tout ce qu’il avait à dire. Comment cette créature était-elle arrivée jusqu’ici ? S’était-elle égarée ? Pleurait-elle d’agonie avant son inévitable fin ?

Deux arbres.

Deux morts.

« On ne peut pas la laisser ici… » Le diplomate avait presque l’air d’une âme en peine lui-même. Son air sérieux et sévère avait entièrement disparu de son visage, laissant place à l’inquiétude profonde. La peur. Il lança un regard à l’arbre gelé devant lui. Peut-être qu’il y avait une branche pour ce Meganium ? Comme il y avait eu une branche pour lui. Il prit sa propre branche entre ses doigts, cherchant à se rassurer. Un des cristaux s’était teinté d’une légère lueur orange.

Gento fronça les sourcils. « Il a changé de couleur. » Le vent se levait, balayant la neige toujours plus férocement autour d’eux, et pourtant, c’était là bien sa préoccupation principale. Sa branche changeait de couleur, maintenant. Il y avait tant de choses face auxquelles il restait ignorant.

« Nous ne devrions pas rester ici. Une tempête se lève. »