"Alors... je fais le café ?"

Ce fut plus facile qu’il ne l’aurait pensé. Trouver un appart. Enfin bon, c’est facile de dire ça alors qu’il entre à peine dans le café pour un premier entretien pour une colocation plutôt bien placée avec un coût… qui est un coût, mais avec une rentrée d’argent normalement on s’en sort hein ? Si sa mère avait pu payer ses factures toutes ces années avec une douzaine de gosses lui serait bien capable de payer son loyer comme un grand non ? Alors pourquoi, lorsqu’il reconnaît la figure tatouée de l’autre côté du café, d’un coup, la perspective d’avoir réellement un colocataire et de vivre par soi-même semble plus irréalisable que celle de devoir s’occuper de ses sœurs ? Sans doute parce que c’est quelque chose qu’il n’a jamais fait.

Et évidemment, c’est aussi cette sensation qui chauffe le sang dans ses veines alors qu’il avance vers la table de l’inconnu, un petit sourire aux lèvres. Le gars, Pierro Da Silva d’après l’annonce, le regarde à peine avant de lui demander ce qu’il veut, alors il répond, Elias, très naturellement, qu’il veut un café viennois. Parce que vivre sans chantilly, c’est comme regarder un film sans canapé ou mourir sans explosion : ça n’a aucun intérêt. Après le départ de la serveuse, il écoute Pierro qui se présente, le présente, et…
Elias le regarde un instant, l’air vide, stoppé dans son mouvement alors qu’il posait son casque noir sur son sac de voyage de l'armée rempli de toutes ses possessions près de la table. Ils ne se sont même pas dits bonjour, c’est mettre la charrue avant les bœufs que de lui demander de lui vendre sa salade maintenant, non ? Puis enfin il comprend. Vendre sa salade, c’est genre… se mettre en valeur, mais bien sûr. Voilà, Elias, il est pas souvent stressé dans sa vie, et heureusement. Imaginez c’est systématiquement comme ça ? Un enfer.
Il s’assoit, et avant que Pierro ne lui fasse remarquer sa stupidité, prend la parole, enfouissant ses mains dans les poches de sa veste en cuir. « Enchanté, et c’est bien moi. » Voilà. Maintenant il est supposé dire quoi ? C’est pas non plus un entretien d’embauche, alors… déjà il n’a aucune idée de quel genre de personnes ce Mr Da Silva cherche, mais en plus il n’a pas grand chose à vendre le pauvre. « J’ai 20 ans, une moto et un sac de fringues. Et je suis à la recherche d’un toit, parce que vivre avec quinze sœurs, on peut le faire vingt ans... mais pas vingt et un ! » Sa plaisanterie le fait sourire, alors il détourne les yeux, gêné, étonnement « Je viens d’arriver à Carteia, j’ai l’habitude de vivre avec d’autres personnes, je suis facile à vivre et je prends pas de place. » Il jette un œil vers son sac en piteux état... « Le plus tôt j'emménage, le mieux c'est. Et je fais bien le... le café. » il sourit encore, et regarde enfin Pierro dans les yeux. Pas trop longtemps cela dit, parce qu’ils sont bien trop beaux pour qu’il puisse les regarder plus de quelques secondes sans risquer de les fixer un peu trop longtemps. « J’ai pas grand chose à dire, mais si t’as des questions, hésite pas. Heuu, je suis célibataire » et tout de suite, c'est bizarre. Pourquoi il a dit ça ?? Pour assurer son potentiel coloc que ses nuits seront tranquilles, mais même, ça veut rien dire et puis on s’en fout non ?
Il pourrait se foutre des tartes, des fois… Il s'empresse donc de continuer à parler, et peu importe la pertinence, maintenant de toute façon il n'y a plus rien à sauver. « J’ai deux pokémons, qui devraient pas poser de problème : un baudrive et un charbambin. En général je les laisse en liberté, la pokéball a plutôt été une expérience traumatisante eux… » Deux euphémismes.
La serveuse apporte la commande, il la remercie et colle ses mains contre la porcelaine chaude, perdant son regard dans la volupté de la crème fouettée maison. « C’est peut-être la chose qui pourrait bloquer, parce que j’accepterai pas de faire quelque chose qui pourrait leur faire du mal. » Même si son éternel petit sourire esquisse une ride de joie sur sa joue, son regard est ferme, tourné vers Pierro. C’est la seule condition qu’il imposerait. « C’est sans doute pas la première fois que tu fais ce genre d’entretien, je sais pas quelles infos tu veux de moi, en tout cas moi je me fiche un peu d’avec qui je vis, tant que moi et mes pokémons on a le minimum de confort ça me va. Évidemment j’ai aucun intérêt à ne pas payer mon loyer ou à faire dépenser des quantités impossibles d'électricité ou je sais pas quoi, mais bon je te le dis quand même... Je suis pas un petit- branleur. » Il hésitait avec con, et pour le coup, il l’est sans doute, donc il a dû fourcher sa langue pour qu’elle ne fasse pas de contre sens. Cependant, en le disant, son regard tombe sur le pansement couvrant une partie du visage de Pierro, et il a un peu peur, Elias, qu'il le prenne personnellement... Alors il détourne encore les yeux et reprécise, parce qu'il a rien d'autre à dire : « Et le plus tôt j'emménage, le mieux c'est... »

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