Assis à sa place, Matthew n’en mène pas large. Il tapote le sol de son talon, se mord les lèvres, et observe avec attention le monde qui l’entoure. Les femmes présentes sont pour la plupart si bien habillées, même qu’une magnifique dame a pris place à ses côtés. Il sent son regard peser sur lui. En baissant les yeux vers son vieux jeans et son T-shirt usé, il comprend pourquoi. Les autres participants ont pris peu à peu leur place, quand un cri soudain le fait bondir de son siège.

“Matthew, NON !”

Que ? Quoi ? Comment ? Il n’a rien fait ?! Il regarde un peu paniquer autour de lui, mais ne voit qu’un Cornèbre joueur se faire remonter les plumes par sa dresseuse. Alors, il soupire et se laisse tomber sur sa chaise, son petit cœur bat la chamade. Ses membres tremblent. Malheureusement, son Togepi commence à gémir. Des petites larmes perlent sur le bord de ses pupilles. Sentant la grosse crise de pleurs arriver, Matthew essaye tant bien que mal de bercer son pokémon en se balançant de droite à gauche sur son fauteuil, sans succès. Cependant, l’apparition soudaine d’un petit Fantyrm est salvatrice. Le petit pokémon vert, attire l’attention de Lulu qui est bientôt plus occupé a essayé de jouer avec lui plutôt que de pleurer.

Mais voilà qu’une voix familière, lui susurre à l’oreille, narquoise,

“Qu’est-ce que tu as encore fait ?”

Matthew grimace et chuchote à Pierro debout derrière lui.

“Rien ! Je ne sais pas, on dirait qu’un de leur Pokémon a le même prénom que moi !”

La poisse. Cela faisait quelques semaines que lui et Pierro avaient fait connaissance. Et si Pierro prenait parfois Matthew comme sa victime fétiche, il n’en restait pas moins une connaissance précieuse dans l’organisation, et un visage familier, une ancre dans ce groupe qu’il ne connaissait pas.

D’ailleurs, en y pensant un instant, Matthew prend la décision de détacher son Togepi du porte-bébé et de le poser doucement par terre. Il ne voulait pas l’enfermer dans sa pokéball, mais les gazouillis du pokémons risquaient de déranger à la longue. Alors, il le pousse gentiment de la main, en demandant de rester avec le Fantyrm.

Bientôt, le calme se fait. Quand tout le monde est installé, le chef de la réunion se lève et prend la parole.

Il s’agit du marquis Thaddeus Appolo Rosthorn. Matthew déglutit péniblement à ses mots. Comme quoi, il y a vraiment des personnes importantes dans l’organisation. Et il a l’air d’être le dernier au courant. À l'entendre, Matthew sent de grosses gouttes de sueurs perler le long de son front. Il n’était plus question d’une simple réunion d’ONG, loin de là. À chaque mot, à chaque phrase prononcée, le jeune homme sent sa gorge s’assécher. Il finit sa brique de jus de fruit et continu d’écouter avec attention.

La menace obscure dont il avait pris le soin d’ignorer jusqu’alors était bien plus importante qu’il ne le pensait. L’échelle bien plus grande qu’il ne le considérait. À l’entente des propos du marquis, Matthew, porte une main à sa bouche, interdit. Voir ses propres pokémons se retourner contre lui, lui déchirerait le cœur. Ses pokémon étaient aussi loin d’être une menace, mais quand on parle de pokémon surentraîné comme l’Alakazam qu’il a pu croiser, ou même un pokémon légendaire comme Sulfura, la tâche semble bien plus ardue. À vrai dire, face au pokémon légendaire, Matthew aurait fini en nuggets, en cendre face à une créature d’une telle envergure. L’idée que cela pouvait se reproduire lui glace le sang. Il faut être lucide. Dans cette assemblée de dresseurs, il est certainement plus un poids qu’autre chose.

Quand la dame drapée dans un grand drap blanc prend la main, Matthew s’est à peine remis de ses émotions. Mais les révélations suivantes n’aident en rien son état mental. Dans un premier temps, il ne sait pas qui est Arceus, il en a une vague idée, mais la religion n’a jamais été son fort. Pourtant, le ton clair et posé de la dame, forçait l’attention. Matthew a certainement du mal à suivre, car aujourd’hui n’est pas le jour où il s’imaginait apprendre qu’un dieu créateur du monde existe. Mais cette révélation n’est qu’une de plus dans le torrent de mauvaises nouvelles qui assiègent ses oreilles.

Quand un troisième personnage prend la parole, Matthew est frappé par son corps, son visage meurtri. La menace obscure semble avoir mâchouillé cet homme comme un vulgaire chewing-gum pour ensuite le recracher sans pitié. À le voir, Matthew comprend mieux quel genre de conflit était actuellement à leur porte. Un de ses conflits qui vous laisse en charpie à vivre pour le restant de vos jours, une demi-vie.

Déglutissant péniblement, il prend une grande inspiration et cherche du regard son pokémon qui joue paisiblement un peu plus loin. Les larmes lui viennent aux yeux. Pour autant, c’est ni le lieu, ni le moment. Le jeune homme pince fermement son avant-bras, laissant deux marques rouges, et ravale ses larmes.

Apprendre par-dessus la mort du maître de la ligue ne semble qu’être une note de bas de page faces aux révélations qu’il vient d’entendre. Surtout face à la probabilité d’une extinction de masse. Matthew ne peut s’empêcher de songer à son oncle qui face à une telle nouvelle conserverait le sourire et ferait un commentaire du genre : “Une extinction de Masse ! Merveilleux, Fantastique, je vais avoir de nouveaux fossiles à étudier”. Humour noir à part, la nouvelle lui glace le sang. Surtout face au regard torturé de l’homme.

À l’entente de toutes ses révélations, Matthew ne pipe pas mot. Il a cette sensation bien connue, de perdre pied. Celle enfant, où il apprenait à nager dans le petit bassin avant que son père ne l’amène sans sommation dans le grand bassin des trois mètres. Celui, il ne touche pas le sol et ne reste maintenu hors de l’eau qu’à la force de ses jambes. Mais là, il n’y a pas de bouée. C’est un torrent qui l’a amené de force vers le large, et la plage où il batifolait innocemment, il y a encore quelques jours, lui semble bien loin.

Pour autant, en regardant les visages autour de lui, Matthew comprend qu’il n’est pas seul. Tous ici présents étaient dans le même bateau. Si certains tenaient la barre, et que d’autres tendaient les voiles, Matthew se dit qu’il était peut-être temps pour lui aussi de trouver un moyen d’aider à son niveau. Plutôt que de pleurer sur son sort en nettoyant le pont avec ses larmes

Le jeune homme soupire et s’appuyant sur la table, attrape une bouteille de vin, il se sert un verre qu’il descend cul-sec, et fait une étrange grimace. Beurk, il le savait déjà, mais l’alcool a vraiment un goût dégoutant.