Le chemin de l'exil

Comme si rien ne s'était passé, comme si tu n'avais jamais quitté cet endroit, tu es de retour chez toi, au chaud et en sécurité dans ton appartement de Carteia. Il s'en est pourtant passé, des choses, et pas qu'un peu. Un lourd soupire s'échappe de tes lèvres alors que tu te remémores le poids de ta décision et l'ampleur du chaos que tu as causé par toi-même. Tu aurais pu faire pire, encore, mais tes pouvoirs nouvellement acquis t'ont été retiré juste avant l'assaut final qui aurait sans nul doute achevé de consumer ta sanité. Heureusement ? Tu hausses les épaules comme pour te répondre à toi même. Ton premier réflexe est d'enfouir une main dans ta poche, pour en extraire ton paquet de cigarettes qui, semble-t-il, a miraculeusement survécu à tout ça. Tu laisses tomber au sol ce qu'il reste de ta chemise, lambeaux déchirés par les ailes qui ont poussé dans ton dos, puis retire tes chaussures avant d'embraser la tige de tabac.

Tu as bien besoin de ta dose de nicotine, après avoir menacé de mort la femme dont tu es amoureux, après avoir intimé à une horde de pokémon obscurs de la prendre pour cible. L'ordre était pourtant si simple à donner. Comme lorsque tu était militaire. Était-ce vraiment toi ? Oui. Oui. Regrettes-tu tes choix, tes actions ? Non. Peut-être un peu. Bien moins que ce à quoi on pourrait s'attendre, pour la gravité des actes. Tu as fait ton choix, tu es convaincu qu'il s'agit du bon, et elle a fait le sien. Vous êtes opposés désormais. Ennemis. Tu gardes une part de rancœur en toi à son égard, même maintenant que l'aura obscure s'est dissipée -bien qu'elle gronde encore en toi- et bien que tu ne sois plus possédé. Tu n'es pas bien sûr de si ce sont tes propres sentiments, ni de ce que tu ressens réellement. Ni à son égard, ni au tien.

Une sonnerie retentit depuis la poche de ton pantalon. Un coup d'œil à l'écran te permet de confirmer qu'il s'agit bien d'Elle. Déjà deux appels en absence, tu ne les avais même pas entendus, perdu dans tes pensés. Tu jettes ton téléphone en cloche pour qu'il retombe sans heurt sur ton canapé. Tu ne peux pas encore te résoudre à entendre sa voix, à t'expliquer. Un soupire s'échappe de tes lèvres alors que tu prends la direction de ta salle de bain. L'eau chaude te fera du bien, te dis-tu, elle t'aidera à poser tes pensés, à calmer ton esprit. C'est une fois sous la douche que tu remarques enfin le pantalon que tu as oublié de retirer avant d'y entrer. Tu es perdu, déboussolé. Il est trempé, tant pis. L'eau ne t'aide pas à réfléchir ; dès que tu fermes tes yeux, tu vois les siens. Orbes écarlates qui brillent intensément dans ton esprit.

Tu ressors de là sans que ça t'ait nullement aidé. Tu prends à peine le temps de te sécher avant de retourner chercher ton téléphone, lequel a continué de sonner quelques fois entre temps. D'un simple geste du doigt, tu chasses les notifications d'appels manqués. Tu as toujours préféré les sms de toute façon, précis et concis. Tu commences par en envoyer un à ta fille, parce que Carteia a apparemment été touchée par les agissements des tiens. Tu lui demandes si elle va bien, si elle est sécurité. Tu lui écris qu'elle est évidemment la bienvenue chez toi si elle en a besoin, que tu es là et que ça ira. Hypocrite. Ce sont des Apôtres tels que toi qui ont semé le chaos ici.

Tu enchaînes avec un second message, cette fois à l'attention de ton âme-sœur. Tu n'oses toujours pas l'appeler de vive voix. Tu lui expliques que tu vas bien, mais que tu as besoin d'un peu de temps. Que tu vas sans doute partir pour Ilerda dans les jours qui viennent, pour passer un peu de temps avec ta famille. Pour te retrouver avec toi-même aussi, tu en as grand besoin. Parce que tu ne sais pas comment l'aura en toi réagira si tu l'approches après vos choix respectifs. Parce que tu ignores si vos corps accepteront à nouveau de se toucher maintenant que les choses se sont un petit peu calmées. Et parce qu'au fond de toi, cette envie de retrouver la puissance qui t'a été reprise s'éveille, et qu'elle te fait un peu peur. Tes messages envoyés aux femmes que tu aimes, tu te laisses tomber sur ton canapé, un bras en travers du visage après avoir lourdement soupiré. Peut-être qu'un peu de sommeil te ferait du bien.