Perdu en Montagne

31 octobre, jour maudit. Quand la terre a nouvellement tremblée sous les pieds des habitants de l’empire. Une nouvelle catastrophe, un nouveau cataclysme ? Non. Des attaques. Matthew n’en sait pas plus. Ce n’est que par le bouche-à-oreille qu’il a pu prendre connaissance des événements. Un couple d’alpinistes vient de descendre le flanc de la montagne en panique suite à la nouvelle. Matthew a pu entendre leur éclat de voix bien après leur rencontre. Les Seleroc et Solaroc qui les accompagnaient, lévitaient avec difficultés. Leurs mouvements étaient erratiques et incontrôlés. Leurs dresseurs avaient dû finalement les rappeler dans leur pokéball avant de reprendre la route. Maintenant, Matthew n’a pas plus d’information. Son téléphone n’a pas de réseau si haut dans la montagne. Alors, il n’a pas le choix. Lui qui était venu pour respirer un moment, loin de la civilisation… Il vient à le regretter. Son camp est installé dans une grotte, près du renflement d’un des flancs de la montagne, à l’abri de la neige. Ce lieu a été son refuge depuis une poignée de jours. Pourtant, présentement, il lui semble bien inhospitalier. Le souffle du vent dans les interstices ressemble de plus en plus aux grognements de Polargriffe, les ombres si rassurantes lui sont désormais étrangères.

Il doit absolument partir. Alors, ses gestes sont secs et rapides. Il détache les sardines, les range dans la housse. Enlève les arceaux, plie les haubans, enroule les toiles et en range le tout dans les housses. Son sac s’alourdit à chaque équipement rangé. Son sac de couchage est roulé et attaché. Il ne lui reste plus que le porte-bébé et le Togepi qui s'y trouve. Posé sur le sol. Le pokémon gazouille et regarde la scène, curieux, emmitouflée dans un plaid en polaire, entouré d’écharpes et portant un petit bonnet. La scène qui avait attendri un instant le couple d’alpiniste, lui est maintenant ridicule.

Mais qu’importe. Matthew embrasse, dorlote, berce et serre contre son cœur, le petit Pokémon à la recherche de la moindre goutte de sérotonine possible. Puis, exceptionnellement, il détache une pokéball de sa ceinture et rappelle son compagnon. Il libère dans un éclair carmin, Crypto, son cryptero. Et enfilant son sac à dos, ses lunettes de soleil, son passe-montagne et ses gants, il lui explique la situation. Cryptero doit l’aider à trouver le refuge le plus proche. Il a besoin d’appeler sa famille.
C’est une urgence.
Alors paré, lui et son pokemon s’élancent dans la tourmente. Le vent lui fouette le corps et Matthew trébuche, tombe, mais continu. Il marche plus vite sans ses bâtons de randonnés qui sont restés repliés dans son sac. Jamais son regard ne quitte son pokemon, même s’il semble parfois le perdre de vue. C’est sa boussole, son fil d’Ariane.

Il avance. Le rythme de sa respiration est irrégulier. Une inspiration en deux fois. Une expiration en trois fois. Il doit conserver ses forces. Ne surtout pas avoir une pointe de côté. Son dos le lance à cause du poids du sac, mais il continue. Il est aveugle au paysage magnifique de la montagne qui l’avait émerveillé quelques jours plus tôt. La danse des Lokhlass sur les lacs gelés, les cris joyeux des polarhumes, les figures fantomatiques des goupix de glaces. Il ignore tout. Son chemin aurait pu croiser celui d’un crabagarre belliqueux, d’un polargriffe agressif. Il aurait pu mourir de mille façons que par l’esprit même, Matthew aurait continué. Lui, qui se sentait si petit face à cette nature hostile, l’ignore complètement. Il martèle un pas fort et puissant qui le pousse vers l'avant. L’homme est une créature faite d’hubris. Il n’est que démesure. Mais cette volonté d’aller au-delà de ses forces, de ce faible statut d’être humain qui pousse le jeune homme avancé.

À plusieurs heures de marche. Crypto semble s’immobiliser. Matthew baisse enfin les yeux de la figure en géoglyphe et aperçoit la lumière scintillante d’un refuge. Son pas se transforme en course, ses muscles se contractent, mais malgré les crampes, il continue.

Bientôt, son corps vient choir contre la porte en bois du refuge. Il tambourine dessus et le visage mécontent du patron des lieux apparaît.

“Ca ne va pas bien de frap-
J’ai besoin de votre ligne téléphonique. Castra Nicia a été attaquée.

Devant son épuisement, sa voix sifflante, et le Cryptero qui lévite dangereusement proche d’eux. L’homme les laisse entrer sans un mot de plus. Matthew lache brusquement son sac à terre et se dirige vers le premier poste de téléphone visible. Ses doigts pianotent un numéro familier… Mais la ligne reste sans réponse. Il rabat le téléphone sur le combiné et recommence… Encore, la ligne est sans réponse. Ni le fixe, ou le portable ne répondent . Alors, il hésite, qui, peut-il appeler ? Ses grands-parents n’en sauront pas plus que lui. Ainsi, il tape, hésitant, un numéro qu’il n’a pas utilisé depuis bien longtemps…

La ligne résonne une fois, deux fois. Et la voix claire et chantante d'un homme se fait entendre.

“Dr Miller, j’écoute.
- Mon oncle, As-tu des nouvelles de papa ? Castra Nicia s’est fait attaqué ?
- Matthew ?
- As-tu des nouvelles de papa ? Il ne répond pas au téléphone.
- … Reste en ligne, je vais me renseigner.

Un silence. Matthew se ronge les ongles, et tape du pied. Crypto le regarde, le regard insistant. Il lévite paisiblement à ses côtés. Le destin du père semble bien indifférent au regard de ce Pokémon. Mais pour Matthew, la trotteuse de l’horloge du refuge allonge les minutes en de véritables heures. Enfin, une voix familière lui parvient de nouveaux aux oreilles.

“Matthew… Ton père a été pris dans une des attaques. Il est actuellement à l’hôpital. Je te rappelle sur ce numéro dès que possible.”

Puis, la ligne coupe.