Ma voix, elle se promène et elle se perd, un peu, en écho, dans les profondeurs de ces mines, sans vraiment recevoir de réponses. Ou plutôt, pas de celles que j’espérais. L’obscurité s’épaissie, gonflée par un brouillard opaque, et je ne distingue plus qu’les frêles vacillements d’une étrange lumière bleutée, bien plus loin, comme un feu follet dans ce dédale rauque, et graveleux. Et puis, soudain, un rugissement, strident, qui emporte à peu près tout dans les profondeurs de c’réseaux souterrain, et mes tympans, qui vrillent. Je pose mes mains sur mes oreilles, manquant d’lâcher ma lampe torche, et d’la faire éclater contre le sol. Bordel, ce plan puait encore les emmerdes à plein nez, mais je serre les dents. C’est qu’mes mauvaises idées sont souvent les meilleurs que j’puisse suivre, et que ça pouvait peut-être bien être encore le cas. Je retiens ma respiration, j’attends quelques secondes et j’entends tout l’ramdam et tout l’vacarme qui s’en suit. Le bruit des pokémons, les paroles et les pas pressés et hâtifs de ce type que j’intéresse visiblement plus. Et pourtant, je l’écoute, et il se répète et il insiste, ce mec. Une zone interdite au public, qu’il dit encore, réitérant son ordre, simple, de circuler, comme si sa voix seule devait être suffisante. Ces intonations, elles sont basses et fermes, et il y a une forme d’autorité nichée dans ses cordes vocales. Il parle un peu comme eux, il parle comme n’importe lequel des soldats de l’Empire, et ça suffit à m’faire sourire.

J’inspire et je m’élance, moi aussi. Je me jette dans les entrailles grondantes de ces profondeurs, l’éclat électrique de ma lampe se fracassant sur la moindre parois, et faisant valser les ombres. Je me jette, jusqu’à distinguer des silhouettes, à quelques pas, et je n’réfléchis pas plus que ça. C’est que j’ai déjà eu à faire avec eux. Plusieurs fois. Au cours de mon enfance flinguée dans mon quartier merdique, et tout le long de la route. Je n’ai jamais été dans les clous, et je ne les ai jamais aimé. Ils ne m’ont jamais fasciné, comme pas mal de ces gamins, ils m’ont toujours inspiré la peur, ou bien des envies d’révoltes. Des désirs de rébellion. Je ferme le poing. On avait appris à se débrouiller comme on l’pouvait, on avait appris à s’débrouiller malgré eux. Les soldats de l’ordre, ces défenseurs du présent et de l’Empire. Mes phalanges, elles s’écrasent sur un côté d’son visage. Et je lance tout mon poids et toute ma course là-dedans, si bien que j’manque de m’ramasser, la tronche la première, contre les roches par terre. Je m’redresse, et je m’tourne une fraction d’seconde vers le second dresseur, vers son Reptincel et vers son Riolu, en lui lâchant quelque chose comme : « Faut s’tirer là, grouille-toi ! », et j’reprends ma course, sans vraiment faire attention au plan, sans vraiment regarder la carte de c’vieux labyrinthe, qui n'est plus si désertique que ça, et qu’importe. Je cours, mes pas prolongeant le tapage et l’boucan du rugissement. Je cours, comme pour essayer de distancer le soldat. Je cours, jusqu’à ce que le souffle vienne à me manquer, jusqu’à ce que les paquets d’cigarettes fumées et tout l’goudron tapissant mes poumons reviennent doucement me saboter de l’intérieur. Je reprends ma respiration. « Putain, que j’parviens à articuler entre deux essoufflements, je lui ai fait manger ses dents j’crois… ». Je regarde le dos d’ma main, et j’vois bien, malgré les ténèbres, que les jointures de mon poing sont abîmées. Et je redresse le visage, un demi-sourire sur les lèvres, rejeton de ce rire un peu débile que j'étouffe dans l'fond de ma gorge. C'est que j'ai pas vraiment le luxe de pouvoir prendre le temps de me foutre de lui. Je sais que l'temps est maintenant une denrée précieuse et périssable qu’il faudrait pas trop laisser traîner dans l’bas du frigo. Notamment parce que l'autre pouvait encore débarquer, et nous coller quelques bâtons dans les roues, et m'faire sauter quelques molaires, à moi aussi...