Je suis consciente que ton emploi du temps est chargé, que disait le message. Je fourre mon téléphone dans l’fond de ma poche, et continue de tirer sur cette cigarette se consumant jusqu’au filtre. Assis sur le toit de mon van comme sur le toit du monde, je contemple ces quelques Tentacool qui s’laissent porter par le courant, avec cette brise marine et iodé qui s’abat sur ma peau. Le soleil, il se reflète sur cette large étendue d’eau qui brille par endroit, et je n’fous rien de plus que ça. Un sourire se dessine sur mon visage. Des promeneurs se baladent sur l’bord de la plage, et je sais que ce sont des bourgeois fraîchement installés dans cette ville bidon, dans cette ville qui se métamorphose tous les soirs, dans cette ville qui semble presque avoir honte de ce qu’elle était autrefois. Ça se voit, à ce sac à main et à son menton haut, à cette allure conquérante et à ce dos droit. Moi, mes épaules retombent un peu, je soupire et je recrache un nouveau nuage de fumée à la manière d’un Smogo. Je m’dis que Zahara est en veine, quelque part. Puisque je m’étais mis dans l’crâne de rendre visite à mon paternel, et qu’il se trouve qu’il picole toujours autant et que, moi, je préférais encore ne rien foutre sur cette plage plutôt que de l’regarder vomir toute sa cuite de la veille dans le fond des chiottes. Je n’avais plus qu’un seul plan avant de me tirer de Syene, un plan simple consistant à faire courir mon Voltoutou sur le sable, mais voilà qu’il semblerait qu’on ai plus le droit de faire courir les canins sur la plage. Ville merdique. J’écrase ma cigarette, et je sors à nouveau mon téléphone de ma poche pour composer plusieurs numéros, les uns à la suite des autres.

Les conversations, elles se ressemblent toutes. Il n’y a peut-être que les surnoms qui changent, et cette manière que nous avions de nommer les différents stupéfiants. De l’Herbizarre, de la Papillusion, de la Cacturne, de la Maracachi, de la Spododo, et autant d’autres narcotiques que l’on pouvait trouver dans les vieilles rues de cette ville. Il suffisait simplement d’connaître les bonnes personnes et les bons endroits et pas grand-chose de plus que ça. Il suffisait, au final, simplement d’avoir grandi dans cette ville, et d’avoir eu cette envie de s’faire sauter la conscience, plusieurs fois dans sa vie. C’est qu’il y a fort à parier que ce qui a pu être volé dans les laboratoires finissent, d’une manière ou d’une autre, par s’retrouver dans quelques coins de rues, dans des pochons en plastique, dans les poches d’un type écoulant un peu de dope sous l’manteau, avant d’remonter chez lui pour s’envoyer une partie des invendus. Tout simplement parce que c’est un business important dans l’coin. Un business soumis à une compétitivité féroce, et motivé par un appât du gain tout aussi carnassier. Un business qui a parfois besoin de s’renouveler, un business dans lequel beaucoup finisse par tomber quand ils ont besoin de fric. Je refuse tout ce qu’ils me proposent par téléphone. C’est que je veux quelque chose de nouveau, que je leur raconte, quelque chose qui me surprenne un peu, et non une énième édition d’une défonce que je connais déjà trop. Et voilà que je tiens ma ligne jusqu’à ce qu’un de ces dealers finissent par me parler d’une nouvelle marchandise. Accord conclu, rendez-vous fixé, et échange effectué quelques dizaines de minutes plus tard. J’attrape de nouveau mon téléphone, et je tape quelques mots pour Zahara, et ça ressemble à quelque chose du genre : « Je crois bien que tu m’dois cinquante balles maintenant… J’arrive dans vingt minutes, environ. » J’ai la came dans la poche, et je tire une autre clope de mon paquet, essayant d’étrangler dans la nicotine cette envie d’mettre la main dans la came.

Je n’avais pas mis les pieds à l’université depuis plusieurs années, et je fais à nouveau face à l’une de ces choses que j’ai laissé à jamais inachevée. Je serre un peu les dents. Peut-être que si j’étais un mec un peu plus comme les autres, j’aurais pu sortir d’ici avec quelque chose de beau, quelque chose de propre, quelque chose qui puisse faire bonne impression. Mais à la place de ça, j’ai tout laissé en plan et je me suis tiré, et quelque part je me dis qu’il y a plus de vie dans le bayou, dans le canyon rouge ou dans la zone portuaire d’Ilerda qu’il n’y en aura jamais ici. Et que c’est là tout ce qui m’intéressait. J’arrive devant la porte du laboratoire de l’université, alors que d’autres sont dans des amphithéâtres à gratter des pages et des pages de papier, et je flanque un coup de pied dedans. La porte s’ouvre, et je lâche déjà mes premières informations : « Une nouvelle came s’écoule déjà dans les rues, et je promets pas que ça vienne de tes plantes, mais ça serait pas étonnant si tu veux mon avis, que je commence à lui dire, j’ai pu m’en procurer quelques grammes auprès d’un d’mes anciens dealers. Paraît que ça te flingue les synapses, et que les propriétés hallucinogènes sont intéressantes et relativement inédites. Bref, un truc parfait pour enfoncer les portes de la perception quoi… » Joignant l’action à la parole, je lâche le pochon sur un des plans de travail, et je m’assois juste à côté en poussant légèrement sur mes deux bras. Les pieds, légèrement dans le vide, j’hausse les épaules : « Je me suis dis que, en te ramenant un échantillon, tu pourrais peut-être déterminer si ça vient de ce qu’on t’as volé, que je lui explique, à Zahara, et qu’au pire, si tu pouvais rien en tirer, je pourrais rentabiliser l’investissement en m’offrant un trip dans mon van, un de ces jours… » Je lâche un sourire, en observant rapidement l’équipe de pokémon poison présent dans le laboratoire, et je sens bien qu'il m'observe eux aussi, et j'en viens à déposer mes yeux sur Zahara, que je n’avais pas vu depuis un bout de temps. Les années, elles semblent l'avoir changé, un peu, mais pas vraiment.« Je pourrais te demander des nouvelles, et te demander comment tu te sens et ce qui s’est passé depuis la dernière fois et tout ça, mais je pense que t’as autre chose en tête pour l’instant, que je commence à supposer, alors disons qu’on ira boire quelques verres une fois qu’on aura tiré un peu tout ça au clair, si ça t’es partante. » Je passe une main dans mes cheveux, qui tombent un peu n’importe comment sur mon visage. C’est que j’ai pas vu un coiffeur depuis un moment, et qu’importe.  C’est pas vraiment l’sujet pour l’instant.