présents

On mangeait moins bien à la caserne, du moins les recrues. Une petite phrase d’Ainsley, et ce léger rire venant ponctuer ses propos, suffisent à me remettre en mémoire ces mois de service militaires, et toutes ces semaines de vie volée. La caserne, les tâches quotidiennes, les entraînements, l’ennui, les ordres, l’uniforme, la hiérarchie, et tous ces autres trucs qui sont comme de la fumée de smogo pour l’âme, ou autant d’épines de Cacnea qui s’plantent dans la poitrine. Moi, je n’étais pas vraiment la recrue du siècle, et je n’avais d’ailleurs aucune volonté de l’devenir. J’attendais simplement qu’les jours se tirent comme des Ponyta sauvages dans les collines, avec Capone pour m’accompagner. Et nous en dérobions, nous aussi, des instants de vie. Des instants suspendus, des instants nocturnes, que l’on prenait au nez et à la barbe du monde, et un peu de lui aussi. On mangeait moins bien à la caserne, mais nous en trouvions, de la nourriture, ailleurs, que l’on ramenait en douce. Un peu comme dans les internats des gamins, et un peu comme n’importe où, d’ailleurs. Je souris, mes yeux se détournant vers mon ancien supérieur pendant que son Malvalme démarre le feu de camps. Le bois, il crépite déjà, et la fumée s’étire délicatement vers le ciel. Le Mascaïman est devenu un Escroco depuis, et moi, je n’sais même pas tellement ce que je suis devenu. « Je vais pas te mentir, je suis pas certain de pouvoir répondre à tes questions, que je commence à lui répondre, à Ainsley. Je n’ai pas vraiment de destination, ni de véritables objectifs. Je fous pas grand-chose de mes journées, si bien que je sais pas tellement plus ce que j’deviens. Je crois que… j’improvise, tout connement… » Comme ces joueurs de jazz qui montent sur scène avec quelques accords écrits sur un morceau de papier, et qui se laisse simplement porter par la musique.

Paillette, elle semble se réconcilier avec Ainsley. Elle n’est pas du genre rancunière, et il semblerait qu’un peu d’nourriture suffise à oublier n’importe quel conflit. Sa queue bouge dans tous les sens, et moi, j’attrape à nouveau ma bière et je m’envoie quelques gorgées avant de reprendre mon récit. « J’ai essayé l’université, quelques temps après l’service militaire. J’ai essayé de faire en sorte que ça marche, mais je me suis retrouvé à voir ma garce de vie danser devant mes yeux, et j’crois que j’ai compris que, quoi que je fasse, au fond, je perdais mon temps. Alors j’ai de nouveau choisis la route, et l’aventure, et l’imprévu. C’est que la liberté, ça semble être quelque chose de radical pour moi. » J’hausse les épaules, pas véritablement convaincu par cette dernière phrase, comme si elle relevait de la théorie. Je regarde les deux insectes d’Ainsley au bord de l’eau, et les mouvements imperceptibles de celle-ci. Dans le sillage du bois qui crépite, il y a l’odeur de la carbonisation, et de tout ce qui cuit, doucement, au-dessus du feu. Mon estomac, il se retourne de plus en plus contre lui-même. Comme s’il avait trop faim pour attendre, et qu’il avait pris la décision de s’auto-dévorer pour se sustenter. Il gronde un coup d’ailleurs, et c’est comme un rappel à l’ordre. Je plonge la main dans une poche de chips. « Avant-hier soir, je parlais avec un type dans un bar, que je continue de raconter, un vieux type qui semblait en avoir plein le dos de son existence. Il me disait que, lui, ce qu’il voulait, s’était de couler ses vieux jours au bord d’un lac, et de regarder la nature faire ce qu’elle fait de mieux autour de lui, à la chaleur d’un feu de bois. Et l’idée, elle m’a séduite, et peut-être bien que j’ai aussi eu envie de le faire pour lui, quelque part… » Et c’est comme ça que j’ai fini par débarquer chez Ainsley, comme un sauvage de la vie, un furieux toquant à sa porte après plusieurs heures de route sur la 7.

Capone, les deux bras croisés, semble davantage porter son regard sur la nourriture en train de cuire que sur les bols d’Ainsley plein de snack. Et je sais qu’il est en train de mijoter un sale coup pour nous chaparder un peu de tout ça. Une lueur d’amusement dans les yeux, je m’envoie le restant de ma bière d’un coup sec, et je me tourne vers l’ancien officier.« Et toi, pour le coup, quand est-ce que tu deviens l’champion de ton arène ? » J’attrape un épi de maïs qui commençait à prendre de belles couleurs pour l’envoyer à l’Escroco, qui ne perd pas de temps pour flanquer ses crocs dedans. Un second, pour moi, que j’attaque de la même manière que mon pokémon, en ajoutant : « Hm, si un jour t’en prends la tête, que j’ajoute en mâchouillant le maïs, je suis prêt à débarquer avec Capone pour en découdre un peu avant d’aller boire des bières ! » L’épi est encore chaud, mais rien de trop brûlant. J’imagine un peu à quoi ça pourrait ressembler, ce combat là, mais sans trop me l’figurer non plus. J’ai pas tellement l’ambition d’un dresseur coureur de badge. Et il n’a peut-être pas tellement celle d’un champion prêt à tout pour défendre son arène.