Il ne lui restait plus que quelques minutes pour se préparer mentalement. Arsène faisait les cents pas sous le regard inquiet de ses chiens. Il s'était rongé les ongles malgré la douleur, avait couvert ses bras de patchs de nicotines, avait enchaîné les cafés. Il n'était pas prêt. Il n'était absolument pas dans de bonnes conditions. Même, il n'était même pas dans des conditions acceptables. Si seulement il avait eu plus de temps pour se préparer. Ou mieux, si seulement il n'avait pas à subir ça, tout court.

On venait de klaxonner devant chez lui. Un frisson si puissant parcourut son échine et manquait de le faire faillir. Il ne pourrait de toute façon pas se soustraire à ce combat. La voiture qui l'attendait n'était autre que celle de son paternel, et il était bien hors de question qu'il lui échappe. Son absol d'assistance l'avait bloqué dans sa panique grandissante. Le bouclé essayait vainement de se reprendre. Plus vite il se rendait à l'arène, plus vite il perdrait son combat, et plus vite il pourrait revenir à sa triste existence. Une vie paisible où son père n'aurait plus la moindre envie de placer en lui quelconque espoir. Il prit une profonde inspiration. Il n'allait pas être en retard.

Arsène attrapait son manteau, et plongeait dans ses poches les trois pokéballs qu'il avait sélectionné pour l'affrontement. Picardy n'était pas vraiment un "choix" à proprement parler. C'était un ancien pokémon de guerre, le plus puissant des chiens que le brun pouvait compter dans sa meute. Puis, il en avait hérité de son père spécialement pour l'occasion. Puis venait Pentoville. La grahyèna était pleine de hargne, mais sa carrière de chienne de garde lui avait apporté une bonne éducation. Enfin, Baskerville. Le démolosse était réactif, l'emmener pouvait être problématique. Mais le bouclé connaissait son passé de chien de combat: une activité sportive encadrée pourrait lui faire du bien. Et bien sûr, Reichenbach serait de la partie, mais uniquement en temps que pokémon d'assistance.

La portière de la voiture avait été laissée ouverte, le moteur tournait toujours. Sans un bruit, Arsène s'engouffrait dans le véhicule, et prit place aux côtés de son père. Le fils ainé des Slater avait l'impression d'être retombé en enfance, avec cette présence si pesante à ses côtés. Il n'y avait ni sa mère pour le réconforter, ni sa soeur pour lui changer les idées. Il était seul. Son absol se positionnait entre ses genoux, reposant sa tête contre lui. Le chauffeur jetait un bref regard à ses passagers, et lorsque le patriarche lui en donnait le signal d'un hôchement de tête, la voiture quittait enfin sa place de stationnement.

— Bonj-
— J'espère que tu es prêt.

Edmond était tendu. Presque autant que pouvait l'être Arsène. Ce dernier avait peut-être, au fond, espéré n'avoir ne serait-ce qu'une seconde de répis. Il avait baissé la tête, laissant ses doigts glisser dans la fourrure douce de Rei. La présence apaisante de son Pokémon lui offrait un point d'ancrage dans cet environnement étourdissant. Il n'était pas à l'aise, pas le moins du monde. Son esprit tourbillonnait avec une multitude de pensées et d'émotions enchevêtrées. Chaque fibre de son être criait la nervosité et l'incertitude. Et son père qui préférait les propulser dans le vif du sujet ne l'aidait absolument pas à garder son sang-froid.

— Je... pense, oui.
— Tu "penses"?
— Je n'ai pas vraiment eu beaucoup de temps pour me préparer.

Le bouclé avait osé cette remarque, mais n'était pas suffisamment insolent pour soutenir le regard de son père. Son audace avait été brève, et il regrettait déjà ces paroles. Ce n'était pas le moment de se le mettre à dos. La voix du paternel reprit, un ton certes froid, mais étrangement pas particulièrement irascible. C'était une voix qui semblait porter davantage de déception que de colère, une nuance qui était tout aussi lourde à supporter pour Arsène.

— En effet. Cette réponse surpris Arsène, qui relevait la tête. Il était d'accord sur- Et au lieu de t'entraîner, tu as préféré t'amuser à ce salon littéraire.

Ah. Ce n'était que pour mieux le critiquer. Arsène tournait la tête vers la vitre de la portière, frustré. Oui, il avait participé à ce satané salon. Mais cela n'enlevait rien au fait qu'une semaine, c'était un temps de préparation bien trop réduit. Surtout pour un homme qui ne s'était pas intéressé aux combats en quatre ans. Rei, en posant la tête sur ses jambes, en dissimulait les tremblements. Mais son corps était absolument tétanisé. Il n'avait aucune échappatoire, et s'il perdait... Il ne fallait pas y penser.

Il eut aussi une pensée pour Olivia. Les deux s'étaient quittés dans des circonstances plus que singulières. Et, depuis leur dernière rencontre, Arsène n'avait pas eu la possibilité de prendre de ses nouvelles. Il avait gardé une certaine inquiétude au fond de ses entrailles pendant ces quelques jours, et il espérait bientôt la revoir. Était-ce une réaction exagérée? Peut-être. Il se convainquait qu'il n'était question que de la santé du docteur.

— Ce n'est qu'une formalité. Alors rends-moi fier.
— ... Oui, papa.

Pas de quoi s'inquiéter, il allait simplement être épié par le Général Slater tout au long de la rencontre. Il en avait déjà des sueurs froides. Finalement, il en serait presque venu à jalouser Calliope qui avait obtenu son premier ruban dans l'intimité la plus totale. Elle aussi, serait là pour assister à son heure de gloire. S'il était totalement déstabilisé par la présence de leur père, que Callie soit là le rendait nerveux. Il ne voulait pas se montrer diminué de quelconque manière. Il devait être fort, au moins autant qu'elle. Bon sang, elle avait elle-même participé à ses numéros, alors qu'il se contenterait de donner des ordres de loin! Il ne pouvait pas fuir. Pas devant elle.

Voilà que la voiture se garait devant l'arène d'Ilerda. Ce ne serait pas Phillip, le champion en titre, qui recevrait Arsène, mais un suppléant. Edmond avait bien pesté et avait essayé de faire jouer ses relations, mais il n'avait pas eu gain de cause. Frustré, il avait abandonné son fils pour rejoindre les gradins, l'abandonnant à son triste sort. Il se présentait alors à l'accueil, notifiant de sa présence, et enregistrant son équipe pour le combat prévu. Il avait croisé Calliope qui, ne voulant pas l'affoler outre-mesure, s'était contentée de le saluer de loin. Elle le savait, dans ces moments d'angoisse, il valait mieux lui laisser de l'espace.

Arsène était entré seul dans l'arène. Il était temps pour lui de faire ses preuves, de prouver qu'il avait encore la moindre valeur pour sa lignée. Reichenbach était resté à ses côtés, malgré la demande de son père. L'absol avait le droit d'être là, même s'il ne participait pas. Et le bouclé, s'il aurait voulu se montrer fort, était réaliste. Il n'était plus qu'à deux doigts de faire une crise. Il n'osait même pas jeter un oeil aux gradins pour voir où était installés son père et sa soeur. Est-ce qu'il la rendrait fière? Est-ce qu'elle avait besoin de ça pour être fière de lui? Ce n'était pas le moment. Pour l'instant, c'était son paternel qu'il devait impressionner. Une femme approchait de lui, un large sourire aux lèvres. La championne suppléante. Il la saluait d'une courte révérence.

— Bonjour, je suis Cybèle, la suppléante de Phillip. Je serai votre adversaire aujourd'hui.
— Arsène. Je vous défie pour mon premier badge.
— Okay! Ce sera un combat en trois manches. Battez-moi, et le badge sera à vous. Je ne retiendrai pas mes coups, donc ne retenez pas les votres! Des questions?
— Aucune.
— Bien, alors allons-y!

Le bouclé prit une profonde inspiration avant de se placer face à la championne du jour. Le sol sous ses pieds semblait soudain plus solide, comme s'il portait le poids de toute son appréhension. Les projecteurs braqués sur l'arène accentuaient le côté intimidant de la situation. Il sentait les regards curieux et attentifs du public- non, de son père sur lui, attendant avec anticipation le début du combat. Il attrapait sa première pokéball, et appelait à lui Picardy. Le Dogrino prit, comme par réflexe, une posture fière et puissante, conscient de son rôle dans le défi à venir. Son adversaire, quant à elle, appelait une forgelina prête à en découdre. À peine était-elle apparut qu'elle faisait tournoyer son immense marteau. Il pestait intérieurement. Pendant sa soirée révision avec Callie, il avait bien noté qu'il risquait d'avoir des difficultés contre un pokémon de type fée. S'il comptait presque uniquement sur le passé militaire de Picardy pour s'assurer la victoire, il commençait à amèrement regretter cette stratégie.

— Colère.

Le dogrino aboyait en réponse. Son corps semblait se colorer d'une aura violacée, tandis qu'il se jetait sur la forgelina pour lui asséner un premier coup. La petite au marteau reculait, avant d'être invitée par sa dresseuse à contre-attaquer. Elle se jetait alors sur le chien pour déposer sur sa tête poilu un vampibaiser. Ainsi, elle soignait le peu de dégâts qu'elle venait d'essuyer. Toujours en colère, Picardy l'attaquait à nouveau, et elle se lançait dans le même manège. Vint le dernier coup. Cette fois, au lieu de se soigner, la forgelina fit un bond en arrière, et frappait le sol de son marteau. Une large pierre s'en échappait. En une tour sur elle-même, elle prit un maximum de vitesse et éclatait le roc. Les fragments fonçaient sur le vieux chien qui n'eut pas le temps d'esquiver.

— Vindicte!

Picardy se jetait alors de tout son poids sur la forgelina pour lui asséner un coup. Elle avait bien tenté de parer l'attaque, mais essuyait néanmoins des dégats notables. Enfin, juste assez notables pour donner l'impression qu'Arsène savait ce qu'il faisait. Il était en complète improvisation, ne sachant pas sur quoi se focaliser ou quelle attaque prioriser. Et avant qu'il ne puisse donner une nouvelle indication, son adversaire ordonnait à son pokémon de lancer un vent féérique. Dans un tournoiement, une nuée rosée vint entourer le dogrino, l'emportant dans son sillage. Trop tard. Picardy venait d'être mis K.O.

— Allez, on reste concentré!

Arsène rappelait le dogrino dans sa pokéball. Il s'était bien battu, et aurait probablement fait des miracles si son maître n'était pas aussi perdu. Cette fois, c'était à Pentoville d'entrer dans la danse. La grahyèna poussait un grognement sonore. Elle était motivée, bien plus que le dresseur n'aurait pu l'imaginer. Elle jetait un bref regard vers le bouclé qui était resté un instant silencieux, le temps de réfléchir à une stratégie. C'était comme une partition. Il devait trouver le bon tempo. Avec Picardy, il avait joué à contre-temps. Il était temps de battre correctement la mesure.

— Crocs feu!

La hyène blonde dévoilait ses crocs qui s'enflammaient au contact de l'air. En quelques foulées, elle avait totalement fait disparaître la distance entre elles. Mais alors qu'elle allait la mordre, la forgelina esquivait le coup. De son outil, elle frappait le corps de Pentoville de plein fouet. Elle s'écroulait au sol, glissant sur quelques mètres. Sans attendre un nouvel ordre d'Arsène, la voila qui bondissait sur ses pattes, claquant ses mâchoires. Des gerbes de flammes échappaient de sa gueule alors qu'elle lançait un nouvel assaut: cette fois, sa proie n'allait pas s'en tirer comme ça. Elle sautait sur son adversaire, la mordant à pleine dent. Elle ne lâchait prise que lorsque la marteleuse essayait de la repousser d'un coup de griffe acier.
Cette fois, c'était Pentoville qui avait esquivé.

— Coud'boue, allez!

Le brun se laissait peut-être un brin emporté par l'action. Mais ce n'était pas un mal dans l'instant, car ça ne faisait que motiver son pokémon d'avantage. La grahyèna grattait le sol, couvrant avec violence le visage de la forgelina de boue. Cette dernière finit par poser un genou à terre, et laissait tomber son outil. La femme rappelait alors le pokémon à elle, applaudissant presque le challenger. La championne sortait alors un muplodocus d'Hisui. Le pokémon violet au corps visqueux prenait une posture offensive.

— Ball'ombre!

Pentoville ouvrait grand la gueule, tandis qu'une sphère noire se formait devant elle. La forme pris rapidement en taille, avant que la hyène ne jappe. D'un coup, le projectile était lancé à pleine vitesse sur son adversaire. Son opposant eut tout juste le temps de se retourner, pour bloquer autant que faire se pouvait l'attaque avec son immense coquille. Le muplodocus attaquait à son tour d'un draco-souffle. La grahyèna n'eut pas le temps de s'écarter de sa ligne de mire: le souffle la propulsait en arrière. Elle tombait au sol, incapable de se relever. Elle aboyait, grognait contre son rival de toutes ses forces.

Devait-il la rappeler? Attendre que la paralysie causée par l'attaque ne disparaisse d'elle-même? Ils avaient réussi à trouver un bon rythme, et voilà que tout tombait à l'eau à nouveau. Et alors qu'Arsène se perdait dans ses doutes, le pokémon violet vint achever sa cible d'un vibraqua. Elle était K.O. Le brun lui offrait un repos bien mérité. Il aurait dû réagir plus tôt. Il aurait dû la rappeler. Est-ce qu'elle lui en voulait? Elle en aurait bien le droit. Arsène, lui, en voulait à son père. Il lui en voulait tellement, de l'avoir ainsi abandonné dans la fosse, sans lui laisser ne serait-ce que le temps de traiter l'information. De s'entrainer convenablement. De se préparer mentalement.

— On peut continuer?

Cette arène devait avoir vu passer son lot de challengers, tous plus combattifs et motivés les uns que les autres. Alors l'angoisse manifeste d'Arsène avait interpellé la suppléante. Peut-être valait-il mieux remettre sa tentative à un autre jour? Non. Hors de question. Il était temps pour lui d'appeler son dernier pokémon. D'en finir, que ce soit par une victoire ou une défaite. Baskerville arrivait sur le terrain avec hargne, jetant un oeil aux alentours. Il n'était pas habitué à sortir sans muselière. Tandis qu'il croisait le regard du muplodocus, le démolosse claquait violemment des dents, se préparant déjà à bondir sur sa proie avant même d'en avoir reçu l'ordre.

— Vibrobscur!

Se concentrer. Ne pas répéter les mêmes erreurs. Il fallait faire tombé le dinosaure rapidement, avant que ses attaques eau ne fassent des ravages contre le chien de feu. Le démolosse formait entre ses cornes affutés une sphère menaçante aux teintes violacées, avant de la jeter sur son adversaire d'un coup de tête. Le muplodocus pris le coup de plein fouet, le faisant reculer de quelques mètres. Et tandis que sa dresseuse lui ordonnait de contre-attaquer avec un nouveau vibraqua, le pokémon restait immobile. Incapable d'attaquer. C'était là leur chance.

— Basker, Tricherie!

Profiter d'un effet secondaire pour attaquer de plein fouet? Oui, l'attaque était pour ainsi dire, toute trouvée. Les yeux de Baskerville prenaient une teinte sombre, son corps se couvrant d'un léger voile pourpre, du haut de ses cornes au bout de ses griffes. Il avait remonté ses babines, dévoilant ses crocs aiguisés. Un grognement vint racler sa gorge. Puis, d'un coup, il se propulsait vers sa proie, toujours incapable de fuir. Le choc fut violent, presque trop. Le démolosse avait laissé échappé un hurlement de rage, et le mucuscule tombat K.O. Plus qu'un pokémon. Ils en étaient capables. Il fallait garder le rythme. Surtout avec Basker, qui visiblement prenait beaucoup de plaisir dans cette nouvelle activité. Et étrangement... le brun aussi. Comme si la fougue de son chien était si communicative qu'il sentait cet éclair d'adrénaline parcourir son corps. Et puis, il entendait les cris de sa soeur qui l'encourageait. Il avait tourné la tête pour croiser son regard, un sourire aux lèvres. Plus qu'un.

Arriva sur le terrain un Scalpereur, sa silhouette massive se découpant contre la lumière de l'arène. Le Démolosse s'était ébroué, prêt à repartir à l'assaut au moindre signal de son maître. Ses muscles étaient tendus, sa respiration irrégulière témoignant de l'excitation qui l'animait. Mais Arsène avait autre chose en tête. Il voulait finir en beauté, clôturer cette symphonie qui avait si mal démarré sur une note triomphante. Son père voulait une raison d'être fier? Arsène allait lui offrir, là, maintenant. Il siffla d'abord, focalisant l'attention de son fidèle compagnon sur lui. Baskerville tourna la tête vers Arsène, son regard vibrant d'attente. Il était un brin surpris, et s'attendait à sauter sur son nouvel opposant sans tarder. Mais non, pas tout de suite.

— Machination.

Basker avait grogné de plus belle, frustré par ce choix. Mais après avoir rechigné à la tâche, il finit par s'exécuter. Une lueur vint éclairer ses cornes, tandis que le chien se préparait mentalement à son futur assaut.  Le démolosse émit un grognement puissant, sa queue s'agitait légèrement de droite à gauche. Le pokémon samouraï se lance alors dans la mêlée, avec une taillade. Il secouait ses lames autour de lui dans l'espoir de frapper son opposant, en vain. Baskerville était plus rapide. Et surtout, son esprit était complètement stimulé par sa machination. L'ennemi était tout proche, à portée de croc. Un coup bien placé. La dernière note de cette partition.

— Calcination, maintenant!

Une attaque renforcée par une capacité, une faiblesse de type. Le coup avait fait mouche. Les flammes enrobaient le scalpereur, infligeant des dégâts croissants à mesure que la chaleur intense pénétrait ses défenses. Le guerrier se débattait dans le feu, jusqu'à ce qu'il doive poser un genou à terre.

Ils avaient... réussi?