Il n'y avait plus dans ce corps décharné la moindre once d'énergie. Arsène s'était débattu comme un beau diable, pourtant. Était-il à ce point si fragile? Il avait l'impression d'être un matelot perdu au milieu de l'horizon, sans rien pour le garder la tête hors de l'eau. Plus la moindre hargne pour le maintenir à flot. Rien. Alors, impuissant, l'homme se laissait couler. Il avait tendu une dernière fois le bras vers la surface, où les cicatrices sur ses mains s'étaient confondues dans les reflets de l'océan de sa peine. Puis le vide. Plus rien.

Reichenbach avait d'abord gardé sa tête posée sur les jambes de son maître. Il avait entendu Olivia, mais il lui était difficile d'abandonner son poste. Et si Arsène faisait un cauchemar? Non, il devait rester sur le qui-vive. Au moins jusqu'à ce qu'il soit absolument certain de le brun ne risquait plus rien. Sa paupière encore mobile était dangereusement lourde, cependant. Il avait un peu gromelé en frottant sa tête contre le genou du brun, plus pour frotter son oeil que pour réveiller ce dernier. Il n'était pas si différent de son maître. C'était peut-être pour ça que leur symbiose était si parfaite.

L'absol avait remarqué l'apparition de Sibelius. Il se souvenait d'elle, il l'avait rencontré un peu plus tôt, pendant la fameuse promenade au parc. La chaglam semblait contente de le voir, avec ses ronronnements et ses frottements. Ou peut-être était-elle juste amicale. Rei avait tourné la tête vers elle, la truffe bien active pour enregistrer au mieux son odeur. Pour déceller quelconque trouble, aussi. C'était plus fort que lui. Mais rien, Sibelius était somme toute de bonne humeur. Il finit alors par comprendre le but de sa venue, et s'était allongé mais gardait la tête haute. Et tandis que le chat prenait place sur les genoux d'Arsène, Rei s'autorisait à poser la tête au sol. Ce n'était que pour une minute, de toute façon.

La fameuse minute s'était visiblement bien étirée, bien plus qu'il ne l'aurait espéré. D'abord un peu perdu, l'homme peinait à ouvrir les yeux. Il y avait cette musique... Douce, jouée au piano. Il la connaissait. Debussy, peut-être? Ah, oui. Clair de lune. Tiens, il n'avait pas de réaction drastique. Était-ce parce que c'était du piano, ou parce qu'il était encore somnolent? Il avait remarqué la boule de fourrure qui s'était étalée de tout son long sur lui, de son torse à ses jambes. Pendant son sommeil, il avait visiblement posé ses mains dessus, comme un enfant qui voudrait tenir la main à son doudou. La vibration continue contre ses doigts ankylosés était étrangement relaxante. Quand enfin sa vision s'était éclaircie, il fit sens de cette apparition.

— Bonjour Sibelius...

Sa voix avait été un peu rocailleuse, mais douce. La chaglam avait partagé un regard avec lui et ronronnait de plus belle. Et surtout... Arsène avait souris. Un sourire tendre, fier. Il avait été capable de dire son nom sans vaciller. Il avait réussi, et n'avait pas souffert. Il caressait le corps gris du chat du bout des doigts, comme pour la féliciter. Simplement d'être là. De lui avoir donné une raison de s'exercer. Il relevait ensuite la tête. Il n'avait d'abord pas remarqué la pièce, plongée dans l'obscurité pour lui offrir de meilleures conditions de sommeil. Mais surtout, il venait tout juste de remarquer Olivia, elle aussi endormie.

Doucement, il avait invité le chat gris à quitter ses jambes pour qu'il puisse se lever. Si le fauteuil n'avait rien d'inconfortable, dormir assis n'était jamais vraiment plaisant, surtout au réveil. Arsène abandonnait son manteau et s'était étiré de tout son long afin de réveiller son corps. Il avait cherché du regard Rei. Il n'avait pas l'habitude de s'éloigner, surtout pas lorsqu'il dormait. Sans un bruit, il fit le tour du bureau, et retrouvait son absol, profondément assoupi. Il avait blottit son dos contre la jambe d'Olivia, sa colonne vertébrale en contact avec sa cheville. Les battements de coeur de la psychologue résonnaient dans tout son être. Il avait été dépouillé de son humain en détresse, alors au lieu de simplement se reposer, il s'était préparé à en aider une autre si le besoin venait à se faire sentir.

Dans l'armoire, des couvertures. C'était ce qu'Olivia avait dit. Le bureau n'était pas frais en soit, mais il serait certainement plus confortable d'être couverte pendant son sommeil. Peut-être qu'il en faisait trop, cependant. L'homme s'était planté devant la fameuse armoire, interdit. Il ne faisait rien de mal en soit, n'est-ce pas? Le meuble de rangement n'était pas verrouillé, tant mieux. Il aurait été bien entendu hors de question de fouiller les tiroirs du docteur pour trouver une clé. Le poids de la couverture l'avait surpris, et avait quelque peu abîmé ses mains. Le brun avait grincé des dents, avant de glisser l'étoffe sur ses avant-bras pour rendre le transport moins douloureux.

L'homme se tenait dans le dos d'Olivia, immobile. Était-ce malvenu? Allait-elle mal le prendre? Après tout, il s'était permis de fouiller alors qu'elle dormait. Ce n'était en aucune façon pour lui faire quoi que ce soit de mal, mais quand même. Il avait abusé de sa confiance. Elle aurait tout à fait droit de le chasser de son bureau pour cet affront. De refuser tout nouveau rendez-vous. De refuser de le revoir. Il prit une inspiration, hésitant en silence pendant encore quelques minutes, alors que Clair de Lune continuait de résonner dans la pièce. Puis, aussi délicatement que possible, il posait la couverture le long des épaules frêles de la femme.

— Excusez-moi, Olivia.