Juste un jour de plus, Père. C’est tout ce que je demande…

Pour que tu puisses revoir ce sale chien galeux sur la plage ? Et pour perdre ton temps à jouer comme une putain de fillette ? Il te lave le cerveau, lui et tous ces sales rats qui profitent de l’Empire.

Père, j’ai fais tous ce que vous aviez dem-

Et tu réponds maintenant ? Me regarde pas comme ça, fallait avoir peur avant de parler, idiot. Va dans la cellule. Une heure avec G-0306 te feras peut-être réfléchir avant d’ouvrir ta grande gueule, la prochaine fois, n’est-ce pas ?


306. Un monstre sans nom et sans pitié, assoiffé de sang. Une bête retenue par de lourdes chaînes dans une minuscule cellule, toujours tenu hors de portée des humains, mais toujours assez proche pour blesser William. Le monstre avait été rendu fou par la faim et les coups, laissé libre court de se venger sur cet enfant puni par son géniteur. Le monstre était devenu un Croque-Mitaine, la terreur qui hantait les cauchemars de William, une douleur fantôme demeurait toujours dans son dos, là où les griffes de fer avaient tranchée, creusée sa chair. Les cicatrices étaient toujours là, maintenant couvertes par l’élégant tatouage d’un Tyranocif terrassé par un Exagide. Une bien faible image, un mensonge, car William n’avait jamais vaincu la bête qui l’avait torturé. L’homme dans l’ombre de 306, celui qui restait là, regardant alors que William hurlait de douleur, que son sang-


Un hurlement strident le ramena à la réalité.

Kas.

Kas, son Bruyverne, tentait de le réveiller. William avait perdu conscience sur le chemin vers Carteia, glissant presque du dos du grand dragon étoilé et sauvé in extremis par ce dernier. La respiration du soldat était irrégulière et grasse, son épaule, brûlée par l’Aurasphère du Démon de Faustea, immobilisait le reste de son bras, une douleur lancinante perçant ses nerfs et ses muscles. Sa jambe saignait doucement, son genou avait enflé, et ses expériences passées dans l’armée lui donnaient une sombre idée de son diagnostic.

D’une main distraite, il caressa la fourrure de Kas pour le calmer. Ce dernier semblait toujours inquiet, mais il avait au moins arrêté de couiner tristement. Il ressemblait trop à son ancien dresseur, parfois. Le Bruyverne avait une douceur dans son regard blanc que William n’avait vu qu’une seule fois auparavant dans de grands yeux bruns. Toutefois, ce n’est pas de douceur dont il avait besoin dans l’immédiat. Kas faisait partie de son équipe de combat, et ils allaient devoir vendre l’illusion du mieux qu’ils pouvaient si William voulait que leur plan fonctionne.

William se préparait à la guerre.

S’il survivait à ce combat, sa vie ne serait plus jamais la même. Pas après ce qu’il avait vu. Pas après avoir croisé le regard du démon. William se sentait vide, il se sentait accablé. Et l’ombre grandissante de Carteia ne lui offrait aucun réconfort, seule la terreur de croiser ses démons, la terreur de ne pas voir le dernier rempart de sa vie tuer le monstre qui hantait ses cauchemars. La terreur de voir encore un autre allié le trahir.

Kas glissait au-dessus de la brise, ses ailes silencieuses alors qu’il se concentrait à nouveau sur leur mission d’infiltration. Le battement était si doux qu’il ne dérangeait pas le sommeil de la brise, elle ne sifflait pas, n’alerterait personne cette nuit-là. Et lorsque l’odeur du charbon et de la chair brûlée atteint enfin son nez, William se redressa. Il fit le vide dans son cœur, dans son âme. Le plan était en marche, Edward l’attendait. Lui, était toujours là.

Atlas supportait toujours le monde, et sur ce monde, se trouvait William. Son anxiété s'évapora un peu, l’Empire pouvait s’effondrer autour d'eux, le monde, même, la Révolution se relèverait toujours. Avec, ou sans William.

Cette pensée ne devrait pas le rassurer autant, et pourtant.

La tempête de sable faisait rage, elle était puissante et chantait sa force comme un cri de guerre au milieu des flammes. Le soldat pouvait sentir l’âme du combattant au travers des grains de sable volant, coupant du reste du monde le baraquement dans lequel William avait passé tant d’années. Un fin sourire se dessina sur son visage, Edward avait toujours eu un faible pour le spectaculaire. William ne manquera pas de se moquer gentiment de lui, lorsque la situation sera adéquate. Un jour. Ou peut-être jamais.

William signa de ses deux mains jointes après avoir tapoté la tête de son Bruyverne. Un mouvement familier pour Kas qui utilisa immédiatement Lame d’Air, la barrière translucide leur ouvrant un passage silencieux et chirurgical à travers la tempête venue du désert. Les flammes et la fumée lui piquait les yeux, ses douleurs furent ravivées par la chaleur comme le feu qui consumait le bâtiment plus bas. Le toit était effondré et les battements d’ailes de Kas éclaircir les entrailles du bâtiment éventré.

Edward.

Edward se tenait là, triomphant au-dessus du Général Kingston.

Kas se posa à l'intérieur, et se mit à grogner envers le Général tomber au combat, il grattait le sol de ses griffes, comme s’il était prêt à achever Cornélius Kingston lui-même, et William-

William resta impassible, un air presque serein sur le visage alors qu’il adressa un regard qui valait des milliers de mots à Edward. Ses yeux étaient luisants de larmes qu’il ne pensait plus pouvoir verser.

La gratitude, le respect, la confiance, la loyauté. Edward n’avait pas simplement gagné un allié à la vie, à la mort, il avait brisé les chaînes de peur et de douleurs qui étouffaient William depuis sa plus tendre enfance. Edward avait abattu comme un chien le Croque-Mitaine qui dévorait ses chairs et le noyait dans la terreur. Celui qui avait fait pleurer cet enfant esseulé, son corps taillé par les griffes d’un Pokémon jusqu’à ce qu’il ressemble à un soldat sans cœur.

William s’effondra à genoux aux côtés du général. L’homme n’avait pas quitté son fils du regard, un air de rage et de confusion alors qu’il semblait peu à peu comprendre, que William n’était pas là pour l’aider. Non. William était là pour le regarder mourir.

Fils- Occupe-toi de ce fils de pu- Le Général crachait du sang en aboyant ses ordres, les yeux fous alors que l’ombre de la mort se rapprochait de lui. Même sur son lit de mort, son père ne l’appelait pas par son nom. Son père lui donnait des ordres. Ce soir, tout cela prenait fin.

Non. La voix de William tremblait, mais son esprit était calme, un océan s’endormant après une tempête. Plus rien ne pouvait l’atteindre.

Le Général resta silencieux une longue minute, si longue que William cru qu’il avait enfin rendu son dernier souffle. Jusqu’à ce que l’homme sourit, puis crache au visage de William.

...Je savais que tu valais pas mieux que ces putains de rats… Dès ta naissance j’aurais dû te jeter à la mer…

William ferma les yeux. Ses larmes strièrent ses joues alors que le Général exhalait une dernière fois, ses yeux se faisant vitreux et qu’enfin, plus aucune horreur ne sortit de la bouche du monstre. Et William, enfin libre de ses chaînes, pleurait silencieusement.



Il ne pleurait pas pour son père, mais pour cet enfant qui avait passé ses années à saigner pour devenir quelqu’un qu’il n’était pas. Pour cet amoureux qui avait passé des années à se cacher, à tailler son cœur trop gros pour rentrer dans l’armure d’un soldat de l’Empire.

Il ne pleurait pas pour son père, mais pour Callero, blessée et insultée par une autorité plus puissante, supérieure, exactement comme lui l’avait été. Pour tous ces morts, ces civils qui voulaient juste vivre sans les chaînes qui les retenaient au fond de l’eau.

Il ne pleurait pas pour son père, mais pour tous ces regrets qui l'étranglerait jusqu’à ce que lui aussi, rende son dernier souffle. Et pour tous ces espoirs irréels, pour cette chienne de vie ou les héros n’existaient pas.



Lorsqu’il se releva pour enfin faire face à Edward, ses larmes et ses chaînes n’étaient plus, laissant un homme brisé, mais libre, se tenant droit alors qu’il sortait de l’ombre d’un monstre.

Merci... Avoua cet homme brisé. Seul un autre monstre pouvait remercier quelqu’un d’avoir commis un meurtre en son nom, mais William n’en avait que faire, à présent. Il était le monstre d’Edward. Et le nom de Kingston appartenait à présent à l’armée Révolutionnaire, et ce, jusqu’à sa mort. Alors qu’il adressa un dernier sourire au cadavre de son père, comme pour s’assurer qu’il était bien mort, William aperçut la lettre du coin de l'œil.

Ils avaient encore une mission à réaliser. Un plan à enclencher.

William se trouva surpris de réaliser que Nine Inch Nails était déjà arrivé et avait délivré la lettre au chef de la Révolution. D’un geste du bras, William ordonna à son Pokémon de repartir, et de rejoindre le repaire de la route 7 discrètement, effaçant alors les traces de leur supercherie.

Je suis désolé de ne pas avoir pû te prévenir plus tôt, le plan- et Faustea… Les mots de William moururent en plein milieu de sa phrase, un sourire vide sur le visage alors qu’il portait une main à son épaule. Les morts, le Steelix, Faustea et le démon, ces images étaient gravées dans sa rétine et dans ses cauchemars.

Ironique, n’est-ce pas? William s’était débarrassé d’un cauchemar, à présent mort à ses pieds, seulement pour en découvrir un bien pire, plutôt durant cette même nuit. Alors, William préféra simplement changer de sujet. Il était, de toute façon, bien trop tard pour intervenir sur Neropolis.

Tu vas tenir ta promesse de pas trop m’amocher la gueule? Sinon j’me retiendrais pas et j’te colle la trempe de ta vie. William, le soldat, se rapprocha du chef de la Révolution, tentant de se tenir droit, de ne pas boiter, d’être un adversaire digne.

Oh, bien sûr, William ne croyait pas une seule seconde qu’il allait gagner cet affrontement, sa voix était joueuse, amicale mais son ton sonnait faux, distant. Toutefois, c’était un combat qu’il avait attendu, une aubaine pour prouver à Edward qu’il était digne de marcher à ses côtés, mais aussi pour le tester, pour savoir qui, exactement, il allait suivre dans cette guerre. Et si celà lui permettait d’oublier les cauchemars et la douleur pendant quelques instants, et bien, William n’allait pas s’en plaindre.

D’un geste vif de sa main non-dominante, William rappela Kas dans sa Pokéball, et en sortit Polyphia, son Superdofin. Il était là, prêt au combat dans sa forme de Super Héro, que William avait libéré avant d'arriver pour ce préparer à cette guerre.

Et William ? William avait un fin sourire sur le visage, entre la sérénité et la folie, la violence et le courage.