Mon père. J'étais trop jeune quand il est mort. Je m'en souviens comme d'un héros. Je craignais son autorité autant que je l'adorais. Je me souviens de son rire et aussi des larmes de maman le jour de sa mort. C'était pendant une éruption du Pic Sulfura. Je ne savais pas à l'époque que mon père avait une dette envers mon oncle, le Baron Gianek, un puissant chef de la mafia. Il nous a emmené ma mère, ma tante Sophie et moi. Durant plus de vingt ans, j'ai vécu dans le sous-sol d'un immeuble de Ravenna, nous vivions en réalité emprisonnés :  c'est le Baron en personne qui me fit découvrir son monde. Il fit de moi son outil, son petit caninos messager. Ma mère devait vendre ses services à l'Ortide blanc et ma tante, trop âgée, était forcée de faire le ménage et des travaux de couture.

Durant vingt ans, j'ai nagé dans la violence. Durant vingt ans, j'ai nagé dans les quartiers les plus noirs de Ravenna, dans les milieux les plus mal famés. Accompagnant mon oncle durant ses rendez-vous, même ceux où il réglait ses comptes. Au rez-de-chaussé de l'immeuble, un bar accueillant en réalité une maison de plaisir. La violence, les complots, le sexe, le banditismes. Toute ma vie, j'ai nagé la dedans. J'y étais enchaîné par la menace : celle de faire du mal à ma mère et à ma tante Sophie. C'est elles qui m'ont sauvé, elles qui adoucissaient mon éducation, elles qui m'enseignaient les bonnes manières, elles qui ont fait de moi quelqu'un d'aussi doux que le baron faisait de moi quelqu'un de violent. Elles qui corrigeaient. Elles et certaines filles de l'Ortide blanc...

J'ai appris à me battre pour survivre dans ce monde, à me défendre en vérité. J'ai appris à manger ce que je trouve. J'ai appris à me méfier et à être prudent. J'ai appris à m'enfermer dans une carapace pour me protéger, ainsi que les deux femmes de ma vie. J'ai appris à aimer les plaisirs et à en profiter, et ce beaucoup trop tôt pour un jeune garçon. Je n'ai jamais découvert le monde : ma tâche principale consistait à délivrer des messages. Le plus souvent des lettres, parfois à l'oral et de temps en temps par la violence. Ma récompense ? Le Baron ne faisait pas de mal à ma mère et ma tante, un accès gratuit illimité aux filles de l'Ortide blanc, de temps en temps un livre, à manger, quelques objets pour un meilleur confort de vie. Et si je désobéissais...

Il y a deux ans, j'ai fais la rencontre de Kiron. C'est un jeune Évoli, encore bébé quand je l'ai trouvé blessé, jeté dans un caniveau comme un détritus. Je l'ai caché et soigné puis je l'ai imposé comme mon protégé. Il a découvert le monde avec moi, triste fut son début de vie. C'est mon seul véritable ami aujourd'hui.

Mais c'est Thor qui m'a accompagné durant toute mon enfance. C'est aussi grâce à lui que j'ai pu garder le sourire, l'humour et ne pas me perdre. Je n'avais que lui pour jouer. C'était un Rocabot. Un gentil Rocabot qui a tout vécu en même temps que moi. Il s'est transformé en Lougaroc le jour de mes onze ans : j'apportais un message du Baron à quelqu'un qui n'a pas apprécié. J'ai été attaqué par un adulte et Thor m'a défendu. Il a toujours été là, toujours. Mais je l'ai perdu. Nous avons été attaqué par des ennemis de mon oncle. Thor a prit le coup à ma place. Cela fut trop rapide je n'ai pas vu. Un Insécateur je crois, un coup mortel. Il est mort pour me sauver. Dans mes bras. Les hommes de mon oncle sont arrivés mais je ne voyais que le sang de mon Lougaroc sur mes mains, ses yeux vides qui me regardaient encore. Thor m'a été arraché des bras.

Deux jours plus tard, la police a fait une descente à l'Ortide blanc. Mon oncle a été conduit en prison : l'homme qui a tué Thor l'a accusé d'avoir rendu un service à la rébellion. Ma mère et ma tante ont été libérées. Et moi ? J'ai été conduis à l'armée pour mon service militaire sur ordre du juge.

Les premières semaines furent terribles. Tout était nouveau. La vie en communauté bienveillante notamment. Ce qui m'a évité d'être puni tous les jours ? La bonne éducation que j'ai reçu de ma mère et de ma tante. Elles sont installées toutes les deux à Arsinoe désormais.

Pour moi les premières semaines furent un petit enfer : je n'avais aucune intimité, aucun lieu pour me détendre réellement, pour m'isoler. J'étais entouré de personnes que je ne connaissais pas. Difficile de dormir, impossible de me relaxer. Combiné à la perte très récente de Thor... J'ai très mal vécu les premières semaines. C'est le onzième jour que tout changea : un garçon bouscula une frêle jeune fille devant moi. Mon poing percuta son visage. Ce fut plus fort que moi. Une bagarre éclata. Ne connaissant que les quartiers sombres, je ne lui fis aucun cadeau. Une heure plus tard, nous étions tous les deux en sang à l'infirmerie à encaisser un sévère savon. Mais j'avais une amie désormais et une position sociale. Je fus puni souvent : pour bagarre, parce que j'allais me promener avec Kiron à l'extérieur du camp et parce que j'ai eu pas mal de succès avec les filles.

Au fur et à mesure des jours, je me suis habitué et trouvais finalement un certains confort quotidien. J'ai longuement hésité lorsque le choix me fut offert à la fin de l'année. Je ne sais que peu de choses du monde. Mais je n'aime pas beaucoup l'empire, cela me rappelle beaucoup trop mon oncle. Surtout leur manière de traiter les pokémon. Kiron est libéré chaque fois que j'en ai la possibilité : il est mon ami, non mon outil. Je vois les pokéballs comme des prisons pour pokémon. Alors non, je ne continuerai pas dans l'armée. La révolution ? Je ne connais pas assez le sujet, je ne peux pas construire un jugement.

Vouer ma vie à la protection des pokémon, à les soigner et les protéger ? Oui cela me plaît. Sur le papier... Rejoindre les Fire ? Cela me plaît. Sur le papier... Mais en réalité ? Me voilà en direction de Nepthe, destination le QG des rangers. J'avoue ressentir une légère angoisse : je me sens aussi perdu qu'un nouveau né. En vérité, j'ai la sensation que ce n'est pas à Arsinoe que je vais faire ma vie. Je ne sais pas où aller, sinon au QG des rangers avec l'espoir d'une nouvelle vie..