son perfectionnisme lui joue plus souvent des tours qu’il n’aimerait l’admettre — identité quelque peu fracturée par les attentes parentales, à mi-chemin entre le fils presque parfait et la fille délicate — terriblement androgyne mais loin de se questionner, se contente du genre par lequel on lae perçoit — très à cheval sur les horaires de journées classiques, remplit ses fonctions avec toute l’application nécessaire si ce n’est plus — insomniaque, aime particulièrement le vent frais qui accompagne les nuits de printemps.
Lorsque l’on se figure le parfait petit soldat, l’image qui prend le pas sur notre esprit est le reflet de Victoire. Une posture des plus droites, le ton égal et respectueux — mais jamais dans l’autodénigrement —, un quotidien si réglé que ses mâchoires crissent dès lors qu’il doit s’en écarter un tant soit peu…
Le point faible principal de Victoire réside dans sa difficulté intrinsèque à s’adapter aux imprévus et, pour y pallier, elle a rangé son individualité dans le fond d’un tiroir, et s’est résolue à se contenter d’obéir.

Naître à Neropolis l’a, quelque part, condamné à être angoissant. C’est une tare qui jadis le rendait soucieux — en tant que futur soldat, il se devait d’inspirer la confiance auprès des citoyens, mais ses habitudes juvéniles à errer dans les rues au beau milieu de la nuit, alors pris d’insupportables insomnies, ont fait d’elle la source de plusieurs rumeurs fantomatiques, et ont planté dans son échine le drapeau lugubre d’un mauvais augure.

Alors Victoire s’est enfermé dans les enseignements paternels ; M. Provost désirait plus que tout un garçon, hissé dans les rangs de l’armée jusqu’à effleurer le ciel du bout des doigts. Il lui a inculqué tout ce qu’elle sait aujourd’hui, dénué d’affection mais saturé d’une assurance absolue de laquelle se nourrissait l’enfant. Mme Provost, elle, se lamentait des cicatrices, des mains calleuses et de la voix de plus en plus grave de sa fille — à terme, ni l’un ni l’autre n’était réellement satisfait de leur progéniture et, pour en compenser les torts, se sont risqués à lui pondre un cadet ; par chance, la nature a fait qu’ils écopent non seulement d’un garçon, mais aussi d’une fille.
Jusqu’à son départ pour le service militaire à Venetiae, Victoire a vécu dans l’ombre des divins jumeaux ; il n’y avait plus la moindre place pour ellui à la table, ni de temps pour les entraînements et les révisions avec son père.

De fait, il réside au fond de son regard les relents infirmes d’un gosse insatisfait. On ne le distingue qu’une fois suffisamment près, juste assez intime pour que Victoire cède des petits bouts de son âme — au-delà de la sentinelle, c’est quelqu’un d’un peu trop sensible, d’un peu trop fragile, comme au bord de larmes dont il ne sait plus trop quoi faire.