La chance était un phénomène bien curieux. On pouvait passer des années à s'efforcer de la provoquer sans jamais en recevoir la grâce et, en l'espace d'un instant, être béni sans raison ni effort. En l'occurrence, Shinichi était doté d'une chance insolente. Bien qu'il n'ait rien fait pour cela, le jeune homme avait fait la rencontre quelques mois plus tôt de Dvora, une entrepreneuse. La dame s'était elle-même présentée comme PDG d'une société d'armement travaillant exclusivement pour l'empire, et par chance - et aussi parce qu'il lui avait rendu un fier service - Shinichi avait l'occasion de visiter le siège de Feinstein à Castra Nicia.
Les nobles avaient en eux ce quelque chose, ce brin de fierté qui les poussait à s'acquitter de leur dette. Et c'est précisément à cette fin que Dvora avait accepté de recevoir Shinichi dans ses locaux. Le jeune pêcheur, pour son acte de bienveillance, allait être récompensé par Dvora à travers un cadeau bien spécial : un cristal Z tout droit sorti de ses usines de production. Si l'idée de recevoir un tel présent était une raison suffisante pour Shinichi de rejoindre Castra Nicia, le fait de pouvoir en outre s'incruster rendait la chose encore plus intéressante.
« Hop, on prend ça et ça et ça. » … Shinichi préparait son sac avec minutie. Suite aux événements du trente et un, le jeune homme avait perdu son appartement ainsi que son emploi à Castra Nicia. Il était actuellement hébergé par Isaac et Victoire, à Corvinium. Il allait donc faire la route jusqu’à la capitale afin de recevoir son présent. C’est dans cette optique qu’il faisait consciencieusement son sac, amenant avec lui son matériel de pêche et plein d'autres babioles toutes plus inutiles les unes que les autres. En avait-il besoin pour visiter les locaux de Feinstein ? Bien sûr que non. Allait-il amener tout ça afin de jouer à fond la carte du pêcheur idiot ? Bien sûr que oui.
Le mélange des genres n'était pas la spécialité du Kitagawa. Jouer au petit espion sous ses traits et sans son masque le dérangeait. Mais l'occasion était trop belle et il devait donc la saisir. Il emmena avec lui ses Pokéballs, dont celle contenant son Kécléon, et prit la route en direction de la capitale. Après un voyage en train où il passa le plus clair de son temps à dormir, Shinichi quitta la gare et alluma son téléphone. Il avait dit à Dvora qu'il arriverait autour de neuf heures et il était parfaitement à l'heure. Shinichi était un homme ponctuel. Et pour sûr, il le serait encore plus dans cette situation ! Il mit l'adresse du siège sur son Motismart et se laissa guider par son appareil. Une fois face à l’imposante bâtisse, il tenta d’entrer… sans succès. Deux gorilles lui bloquaient le passage, le sommant de présenter un badge qu’il n’avait pas. Alors qu’il s’apprêtait à envoyer un message à Dvora afin de la prévenir de son arrivée, il vit la jeune femme descendre d’un escalier à travers le mur en verre. Il était sauvé ! Il allait pouvoir entrer.
En bon nigaud, Shinichi fit de grands signes à Dvora. Il y avait un monde où le shinobi hurlait : « Let me in », mais il s’abstint. Il y avait des limites tout de même. Une fois face à l’héritière, Shinichi effectua une courbette : « Bonjour madame, j’espère que vous allez bien ? Tout ce bâtiment est à vous ? » Le pêcheur leva les yeux. Le bâtiment était imposant. Il espérait pouvoir le visiter un petit peu. Car oui … Il y avait aussi un monde où Dvora lui donnait son cristal et le sommait de décamper … Dans cette éventualité, Shinichi allait devoir trouver une ruse ; un moyen de s’incruster un peu plus longtemps que prévu. Oh, inutile de s’en faire. Il trouverait. Shinichi était doué pour ça. Ninja ou non, espionnage industriel ou non … Notre héros était doté d’un talent certain pour s’imposer.
rapporter à Lavinia un plateau copieusement chargé, d'aucuns diraient qu'il y en avait pour d'eux et ils n'auraient pas tort. En effet, tu t'installes sur un coin de lit pour mieux redécouvrir les traits de celle que tu avais croisée un peu plus tôt. Tu t'enquiers du programme de la journée de la première princesse impériale, replace quelques mèches tombées devant son visage, obnubilé par l'écran de son téléphone et souris.
La vie que tu mènes est on ne peut plus particulière, te figures-tu. Se réveille ici, dans le saint des saints de l'Empire, puis quelques heures plus tard, se retrouver au Siège de ta propre entreprise pour y jouer les PDG. Aujourd'hui, tu dois recevoir Shinichi, un drôle de gus que tu avais croisé près des grands lacs, tu n'en dis rien à Lavinia, tu n'aimes pas t'épandre auprès d'elle sur ce que tu as pu faire en son absence, pendant que tu l'avais abandonnée, si l'on s'en réfère à la vision de la jeune femme sur la situation.
Après avoir pioché çà et là, quelques fruits frais, un peu d'omelette, une tasse de café, tu déclares qu'il est temps pour toi et ne quittes la pièce qu'une fois la tenue de la princesse déterminée. Tu la confies aux bons soins de deux domestiques qui s'affairent tous au palais en ces heures bien matinales et vient le moment de s'occuper de toi. Tu commences le long processus de t'apprêter pour la journée par un bain rapide. Prends le temps de démêler et de coiffer tes cheveux, qui trouve l'audace de s'organiser en nœuds malgré des taies en soie. Il te faut te vêtir et tu optes pou une tenue classique que tu ne portes que trop peu souvent, un tailleur classique aux tons bruns sur un col roulé clair.
Avant de sortir, tu préfères dissimuler tes racines sous une casquette en feutre, d'un coloris proche de celui de ta veste et sors en talons pour rejoindre ton visiteur. Bien sûr, tu n'auras pas omis d'appliquer consciencieusement les crèmes et cosmétiques d'usage, sans que cela ne te donnes l'air de t'être trop fardée. Toute une cérémonie que tu répètes la plupart des matins où tu te rends en ville. C'est qu'il faut bien les cacher quelque part ces valises que tu te traînes sous les yeux.
Huit heures et quart. Te voilà à ton bureau, tu as eu le plaisir de saluer Lenora, pris le second café de ta matinée, rien de bien extraordinaire. Tu passes en revue les nouvelles, les mails que tu reçois sur l'intranet comme les sollicitations extérieures. Bien que tu prennes bonne note de ce qui défile sur ton écran, tu le fais sans réelle motivation. Non pas que prenne à la légère ton entreprise, ton poste ou tes interlocuteurs, tu as simplement la tête ailleurs, il te tarde de revoir le pêcheur chevronné. Tu te figures qu'il permettra à cette matinée de s'écouler un peu plus vite que d'habitude et tu aimes toujours présenter les produits que très jeune déjà, tu as appris à chérir.
De l'autre côté de la paroi de verre, tu reconnais l'olibrius de la fois dernière, fidèle à lui-même, il n'aura pas passé les portes sans ton intervention. Peut-être aurait-il fallu prévenir la sécurité de sa venue, tu te ravises. Évidemment que celui-là mérite de n'être toléré au sein des bureaux que sous-surveillance, Dieu seul sait ce qu'il serait capable de détraquer, piqué au vif dans sa curiosité par quelques boutons lumineux. Tu lui souris, assez sincèrement, réellement ravie de retrouver un visage familier. Les gorilles postés là arquent un sourcil, il semblerait que ce ne soit pas souvent que la directrice accueille avec autant de naturel un invité, encore moins avec un "tel" enthousiasme.
« Bonjour. » Tu imites Shinichi et te laisses un instant profiter du vertiges que procure l'étude de ce grand bâtiment avant de reporter promptement ton attention sur lui. « Oui, il semblerait bien. » Tu marques une pause, t'écartes de l'entrée et saisis l'encablure de la porte d'une main en l'invitant à entrer de l'autre. « Je vous en pris, entrez. Vous n'allez pas rester à geler dehors. » Tu te veux amicale, plutôt conviviale même. Une chose est sûre tu es bien moins guindée que lors de votre dernière rencontre. Replongée dans la réalité de ce qu'est ta vie à la Capitale, tu n'as plus le cœur à faire semblant avec les rares personnes avec qui tu peux t'autoriser à être toi. « Un café, un thé ? »
Levant à son tour les yeux, Dvora répondit par la positive à la question de Shinichi. Elle était en effet l’heureuse propriétaire de cet imposant bâtiment à la hauteur sous plafond indécente. De là, la demoiselle tint la porte à notre héros et invita ce dernier à pénétrer dans les locaux de sa compagnie. Honoré, il mit une main sur le cœur, baissa la tête et remercia son hôte : « Merci bien. »
Shinichi salua les gardes et ouvrit la marche, suivi de près par l’entrepreneuse. Les gorilles à l’entrée se turent, de sorte à ne pas s’attirer les foudres de leur maîtresse. Maîtresse qui par ailleurs avait un sens de l’hospitalité impeccable, si bien qu’elle proposa à notre héros de boire quelque chose pour ouvrir la visite. Ce dernier – qui avait pris l’habitude de ne jamais rien boire ni manger en mission – refusa poliment : « Très peu pour moi. À moins que vous en preniez un ? Si vous prenez un thé, j’en prends un. aussi » Le contraire eut été malpoli ! Il n’allait pas boire seul ni laisser son hôte boire sans être accompagnée … Ceci-dit … « Mais ne vous sentez pas obligée d’en prendre un. Ou de ne pas en prendre même. » Shinichi avait ça de beau que, parfois, il n’avait pas besoin de jouer les idiots et se chargeait très bien de faire le guignol tout seul, sans forcer le trait. Sa « couverture » était en cela crédible qu’elle n’en était pas une. Par moment, il était vraiment incompétent socialement et ridicule de surcroît. Cela le rendait attachant, presque mignon. Il souriait naïvement à Dvora. Certes lors de leur première rencontre, elle avait écorché son nom plusieurs fois de suite mais il avait appris à l’apprécier. Il s’agissait d’une gentille fille, avec autrui comme avec ses Pokémons. Shinichi éprouvait comme un pincement au cœur en pensant à ce qui allait suivre, à ce qu’il allait tenter de faire au sein de sa boîte.
« Vous me faites visiter ? Je suis curieux de voir à quoi ressemble les machines qui font floush et flan et flash ! Enfin. Si j’ai le droit de les voir. » Ces machines n’existaient que dans l’imaginaire d’un esprit malade tel que celui de Shinichi. « Et vous travaillez là toute la journée ? Gérer une entreprise toute seule … Ce doit être difficile. » Très difficile en effet. Peut-être avait-elle un intendant ou quelqu’un à qui déléguer quelques tâches ?
Shinichi avait comme le sentiment de vivre un curieux retour en arrière. En effet, un sentiment de déjà vu l’envahit. Il avait été à cette place par le passé. La place du curieux visiteur … A ceci près qu’il était là dans une compagnie produisant des armes et non du fromage … Il se sentait définitivement plus à l’aise dans la ferme Winchester. Les murs étaient tout ce qu’il y a de plus normal, Dvora était une personne tout à fait charmante et accueillante et pourtant il était intimidé. « Est-ce qu’il y a des casiers ou quelque part où je peux poser mon matériel de pêche ? » Il désigna son sac du doigt. Les gardes avaient « oubliés » de le lui prendre … Il faut dire qu’il avait tout fait pour qu’ils ne mettent pas la main dessus. Avec un peu de chance, Dvora lui présenterait un endroit où il pourrait s’isoler, un vestiaire où se trouvaient les casiers ou n’importe quoi de ce genre. De là, l’opération NINJA pourrait commencer.
« Ah, comment va votre Momartik soit dit en passant ? » Il leva la tête, ferma les yeux et utilisa toutes ses cellules grises de sorte à se remémorer le nom du Pokémon Glace « Antarc, c’est ça ? Elle n’a plus peur de vous ? » Des semaines et des mois s’étaient écoulées depuis cet épisode. Il espérait en effet que la jeune femme ainsi que son Pokémon aient réussi à tisser des liens et soient passées outre leur début de relation laborieux.
Soit dit en passant ... Il y pensa un peu tard et ce n'était évidemment pas l'objet de sa visite aujourd'hui mais, à l'occasion et si le sujet se présentait, il poserait à Dvora la question concernant la machine qu'il avait trouvé aux ruines d'Arpinium. Shinichi présumait que cette arme soit tombée aux mains de l'empire ... Peut-être Dvora en avait entendu parler.
D’une manière qui lui est propre, mi-théâtrale, mi-étrangement mignonne, Shinichi te remercie et entre sans plus de cérémonie. Ce que tu prends pour une maladroite tentative de politesse te fait sourire et tu préfères ne pas en rire, uniquement pour ne pas vexer ton hôte. En effet, cette manière de se justifier et de se sur-justifier en essayant vainement de devancer les désirs de l’autre et de se débattre dans un marasme de pensées que tu devines parasites, tu ne peux trouver que ça attachant. Il te faudrait sans doute prendre garde à ne pas trop projeter de ta personne sur autrui, car nombreuses sont les explications pour un tel comportement, mais tu n’en sais trouver d’autres, alors voilà en quoi tu crois.
« Prenons le thé, dans ce cas. » Tu lui souris, que de plus belle, ne souhaitant pas le froisser ou le mettre mal à l’aise. Après tout, une tasse de thé n’a jamais tué personne. Tu fais préparer une théière de Genmaicha par l’hôtesse d’accueil avant de reporter ton attention sur ton interlocuteur. Ça aurait été franchement dommage d’en manquer la moindre miette. L’enthousiasme frénétique de cet homme pour un monde qu’il l’air de s’inventer très bien tout seul t’émerveilles. Pour tout dire, tu éprouves pour lui la tendresse que l’on ressent envers un enfant un peu trop rêveur. Tu aurais aimé en côtoyer des comme ça, chez toi.
« Tout dépend de mon devoir envers… » Tu t’arrêtes brusquement. Tu n’as que trop de fois à ton goût sortie la carte d’être une proche des princesses impériales, pupille de l’Empire. Sans même le savoir, ça a peut-être même profondément desservie certaines de tes relations. Il y a des fois où ça s’y prêtait plus que d’autres, comme lors d’un café en compagnie de la sénatrice Valentine, mais toutes n’ont pas besoin de ce poids supplémentaire. Peut-être qu’auprès de Shinichi, tu pourrais te contenter d’être une PDG d’une entreprise d’armement, à 28 ans, c’est déjà suffisamment ronflant, non ? Machinalement, tu t’éclaircis la voix, comme pour justifier de ton silence, alors que le plateau pour le thé vient d’être composé. On y retrouve deux tasses typiques des porcelaines d’Europa et la théière de la même origine vient compléter le service, à côté de quoi, quelques biscuits secs viennent accompagner le breuvage.
« Si vous vouliez bien monter ça dans mon bureau.. Merci. » Tu attends un geste de tête approbateur de ton employée pour la remercie immédiatement et reprendre ta discussion. « Voudriez-vous bien vous donner la peine ? » d’une voix douce, tu désignes au pêcheur la volée de marches qui se dessinent dans un coin de la pièce, ça n’est qu’à ce rez-de-chaussée et demi que se retrouvent les ascenseurs cossus, préférablement utilisés pour les invités de marque, les journalistes ou les grands pontes de l’entreprise. L’employée quant à elle disparaît dans un ascenseur de service pour ne pas déranger. « Pour répondre à votre question, je serais ravie de vous faire visiter mes locaux, mais sachez qu’en-dehors d’un petit laboratoire pour la recherche et le développement, nos usines ne se situent pas ici. Le gros de la production est élaboré en dehors de la ville, ça ne sera pas pour aujourd’hui, malheureusement. »
Tu t’enquiers que le jeune homme te suive bien alors que tu montes les escaliers à pas lents et réguliers. « Pour ce qui est du reste, évidemment que je ne gère pas cette entreprise seule, j’ai différents directeurs pour chaque pôle de l’entreprise qui se chargent de presque tout. On a surtout besoin de moi pour ma signature, vous savez… » Ta mine s’assombrit et ton visage plonge légèrement vers le sol avant cet aveu. « Je n’ai qu’un rôle assez décoratif ici. L’entreprise ne peut tourner, légalement, sans Feinstein à sa tête. C’est pourquoi j’occupe cette fonction depuis mes dix-huit ans. Pour autant, aujourd’hui encore, je tente de me montrer digne de la charge qui m’a été confiée, bien que je manque encore cruellement d’expérience. » Cette histoire, tu as l’impression de l’avoir racontée des centaines de fois, mais au final, il n’y a que bien peu de personnes qui soient réellement au courant de ton titre fantoche de PDG.
Tu soupires longuement, arrivée aux portes de l’ascenseur, tu appuies sur le bouton et les portes s’ouvrent, un message d’accueil dans les locaux de l’entreprise Feinstein se fait entendre. Le matériel de pêche… Il n’y a bien que lui pour se dire que c’est une bonne idée de rapporter ça à un rendez-vous dans une entreprise. Tu cogites un instant, il n’y a pas vraiment de vestiaires étant donné que la plupart des employés de bureau qui viennent ici arrivent en civil. Il n’y a bien que ça qui pourrait faire l’affaire. « Au niveau du laboratoire pour la recherche et le développement. Ce doit être le seul vestiaire que nous ayons ici. » Il faut bien s’équiper en mesure de protection individuelle, changer de tenue, pour limiter au maximum les risques en cas d’accident avec les produits manipulés. Tu laisses donc les portes de l’ascenseur se refermer, préférant te diriger vers le pont vitrifié qui passe au-dessus de l'avenue en contre-bas pour te rendre directement au laboratoire, petite excroissance isolée au milieu du siège Feinstein.
« Encore merci pour la dernière fois, je pense que vous ne réalisez pas à quel point vous m’avez aidé sur ce coup-là ! » Tu poursuis ta progression vers les vestiaires, non sans en oublier de faire la conversation. Tu grimaces un peu à l’écoute de cette dernière question. « Je ne dirais plus qu’elle ait peur de moi, maintenant, de là à dire qu’elle m’apprécie particulièrement… Je me permets d’émettre certains doutes. Elle m’obéit et elle me déteste moins que la plupart des autres êtres humains, c’est déjà une victoire en soi. » Tu te permets un rire bref, pas bien sûre que cela soit adapté à la situation, mais pas certaine non plus de comment ce genre de choses sont discutées en temps normal au sein de l’Empire, si tenté qu’elles soient discutées tout court.
Un thé donc. Shinichi avait pour règle d’or de ne jamais boire ni manger au cours d’une opération mais il ferait une entorse au règlement afin de ne pas froisser son hôte. Conformément aux ordres de sa maîtresse, l’employée à l’accueil prépara une mixture qu’elle vint servir dans une impeccable vaisselle. Trop occupé à poser son regard sur tous les coins et recoins de la pièce, Shinichi ne nota presque pas l’hésitation de Dvora. Il imputa bientôt cette dernière à l’arrivée de l’employée qui, outre le thé, avait apportée des biscuits. Shinichi se saisit de la tasse qu’il porta aussitôt à sa bouche. La préparation était évidemment réussie, comme on pouvait s’y attendre de la part d’une employée de Dvora. « Vraiment pas mal ce thé. » indiqua le pêcheur, en remerciant l’employée qui avait consciencieusement préparé le breuvage. Dans son pays, préparer le thé était un art et Shinichi n’avait qu’à de très rares reprises vu des Maestoniens porter tant d’attention aux détails qui faisaient de cette boisson une œuvre à part entière.
Il garda la tasse encore chaude en main tandis que la dame fit monter le plateau et la théière dans le bureau de la patronne. Shinichi suivit la voie indiquée par Dvora et écouta avec attention les propos de la demoiselle. Les usines produisant les armes n’étaient pas ici ; logique en un sens. En règle générale, les chaînes d’assemblages et de productions se trouvaient à l’extérieur de la ville. En l’occurrence, ce bâtiment, situé en pleine coeur de Castra Nicia, abritait les bureaux ainsi qu’un modeste laboratoire. « Pas de souci ! Un autre jour peut-être ! » Peut-être ; si d’aventure elle acceptait de le recevoir à nouveau. Shinichi était curieux de voir de quoi il en retournait. Si certains auraient pu être refroidis par la nouvelle de Dvora, Shinichi, lui, préféra voir le bon côté des choses. Qui dit laboratoire dit recherche et développement et dit aussi nouveautés ! La compagnie de Dvora avait peut-être une ou deux idées révolutionnaires en stock que Shinichi allait pouvoir voir/subtiliser ! Dans le même registre, ce bâtiment abritait un grand nombre de bureau. Chaque employé avait son propre ordinateur relié à un réseau global associé à la compagnie : Un rêve pour NordVPN.
« Et pourquoi elle ne peut pas tourner sans Feinstein à sa tête ? » La mention « légalement » n’avait pas échappé à Shinichi mais ce point lui parut … Nébuleux. « Pour ce qui est de votre utilité … Je suis sûr que vous l’êtes plus que vous le pensez. C’est un art que de faire bonne figure. Et savoir s’entourer de gens plus compétents est aussi une grande qualité pour un chef. Visiblement, vous faites les deux à la perfection. » En tout cas, pour sa part, Dvora lui renvoyait une bonne image. Et si ses directeurs faisaient tout alors fort bien. Elle ou ses aïeux les avaient bien choisis. Là encore, ce n’était pas du ressort de tout le monde. Déléguer, savoir quelles sont ses faiblesses et laisser les compartiments les moins évidents, les plus techniques à autrui n’étaient pas donnés à tout le monde. Un héritier un peu plus obtus et moins sage se serait empressé de vouloir tout faire tout seul par égo, au risque de tout saccager sur son passage. En outre, les plus compétents et les plus exigeants étaient souvent les premiers à voir leurs lacunes et à se focaliser sur ces dernières. Shinichi présumait que c’est ce que faisait Dvora. De son avis extérieur, elle sous-jouait assurément certaines de ses qualités. À moins qu’elle ne soit tout simplement une fraude …
« Oh ce n’est rien. C’était juste un curieux hasard. J’avais cette pierre depuis longtemps et voilà. D’ailleurs, cela me fait penser, au cours de mes expéditions, j’en ai trouvé une autre. Une pierre eau … Et plusieurs vieux fossiles aussi. Mais bon. » Une longue histoire qu’il raconterait plus tard. « La plupart des autres humains vous déteste ? C’est rigolo ça. Vous leur avez fait quoi ? » Shinichi continua sa marche vers le vestiaire. Là-bas, il déposerait son sac qu’il garderait à moitié ouvert. De la même façon, il ferait l’effort de discrètement laisser une Pokéball traîner ; celle contenant son Kécleon.
Une fois arrivés dans le fameux vestiaire, Shinichi demanda : « Vous qui êtes dans le milieu ; j’ai un peu visité les ruines d’Arpinium l’autre jour avec un collègue ranger. Là-bas, on avait trouvé des restes d’une usine produisant des armes et un laboratoire. C’était … Dans la zone la plus à l’Est. Ça vous dit un truc ? » Allez savoir ; Dvora avait peut-être des infos sur la question. Shinichi passa sous silence certains détails sordides, notamment ceux concernant le Motisma victime d’expérience scientifique et la curieuse machine qu’ils avaient trouvés. Il profita soit dit en passant de sa petite question et de la réflexion que nécessiterait une réponse pour mettre son sac dans un des casiers. Il ne referma pas complètement ce dernier, prenant bien soin de mettre un code bidon. En somme, de l’intérieur, pousser le casier suffirait à sortir. Ou dans l’autre sens, à lui voler ses affaires …
Shinichi n’avait gardé avec lui qu’une Pokéball, celle concernant son Porygon. « Du coup, on va voir le labo ? Vous faites quoi comme recherche ? Des trucs pour sauver le monde ? » Dans son cas et au vu du secteur de l'entreprise de Dvora, il craignait que ses recherches aient plutôt pour vocation de le détruire …
Les manières respectueuses de l’homme d’Asia vis-à-vis de la décoction de ton employée te réchauffent le cœur. On ne peut pas se tromper, cela s’enracine jusque dans la façon de déplacer la tasse qui lui est présentée avant de s’en saisir, expertement, avant de la porter à sa bouche. C’est au travers d’un sourire des yeux, que tu apprécies le compliment pourtant anodin qu’il en fait. Pas plus décontenancé que cela par la nouvelle, Shinichi se proposerait presque de repasser à l’occasion pour remettre cela. Sous la forme d’une nouvelle visite, des usines en périphérie urbaine, cette fois. Si l’idée est loin de te déplaire en substance, tu prédis qu’il ne serait pas si évident que cela d’obtenir l’autorisation auprès du conseil d’administration.
Sans extérioriser ton doute quant à la faisabilité bancale de la chose, tu poursuis ton chemin le long de la passerelle. Un regard pour les voitures en contrebas te ramène au grandiose de ce que tes aïeux auront bâti, mais également au trouble dans lequel tu auras jeté ton legs avec les dernières décisions drastiques que tu avais prises. Les actions de l’Entreprise sont en chute libre, si tu ne disposais pas déjà du titre de propriété du bâtiment que tu arpentes, il te faudrait sans doute considérer le vendre, à terme. La perspective de détruire ce que des générations avant toi auront pris le temps de mettre debout te désespère. Pourtant, comment continuer en sachant que cela signifierait aussi salir leur mémoire ? Tu préfères encore échouer superbement à ta tâche plutôt que de faire fructifier tes dividendes sur le dos d’innocents.
Peut-être un peu idéaliste pour une vendeuse de mort, tu as la ferme intention de rendre ta chaîne de production éthique. L’ironie ne te parviens que très peu, tant ça n’est pas le rapport que tu entretiens avec la firme familiale. Il s’agit davantage de prouesse scientifique et de défendre ta patrie contre les maux qui l’accable, tu ne t’imagines pas une seconde les conséquences des utilisations pratiques de ce que tu permets de faire fabriquer, sous ton nom. Fidèle à lui-même, le pêcheur, modeste, se contente de dire qu’il aura simplement cédé une pierre qui traînait dans son inventaire, tu n’es pas dupe. « N’allez pas croire que j’ai oublié ma part du marché. Je suis votre débitrice et je compte bien vous régler ma dette. » Lui souffles-tu, un air malicieux s’installant sur ton visage, tu es certaine d’avoir déjoué son excès de politesse, sans voir plus loin que le bout de ton nez.
Le récit, silencieux dans son discours, de ses exploits lors de ses pérégrinations ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Il te faudrait considérer embaucher une personne à l’agenda décidément plus souple que le tien. Shinichi pourrait, pourquoi pas, te ramener quelques trouvailles de ses expéditions sur lesquelles tu aurais bien du mal à mettre la main toi-même. L’idée n’a pas le temps de maturer, à la recherche de financements possibles, qu’un nouveau quiproquo fait irruption dans votre discussion. Tu lui tends un vrai sourire, amusée, tout en déverrouillant l’accès au laboratoire d’une pression de la main sur la console de reconnaissance digitale. « Si je ne suis pas certaine de mon succès auprès de mes semblables, je parlais bien plutôt de l’attitude d’Antarc, face à mes pairs. Elle n’apprécie guère notre espèce, à vous et moi, Shinichi. »
Sans rechercher à tomber dans le caricatural, tu veilles à ce que ta diction soit impeccable. C’est vrai que tu as tendance à manger tes mots lorsque tu fais l'expérience d'une discussion stimulante, mais c’est sans compter sur la barrière de la langue qui vous sépare au blond et à toi. La capacité du pêcheur à manier ta langue natale, te le fait un peu trop facilement ignorer, mais cela lui demande sans doute plus d’effort qu’à toi d’entretenir une conversation. Machinalement, tu lui désignes un casier libre, où il entrepose ses affaires, non sans t’interroger sur feu la cité d’Arpinium. La question t’étonne, si bien que perdues en réflexions, tu ignores complètement les agissements de l’espion glissé chez toi. L’incident datant d’avant ta naissance, tu n’as jamais connu la ville avant la catastrophe.
Le peu que tu en sais, t’as été rapporté des plus anciens employés de Feinstein et ne dépasse pas de beaucoup les informations susceptibles de traîner sur internet. Il est vrai qu’il arrivait à tes parents de s’y rendre, mais c’est tout ce que tu es capable d’en dire. Alors plutôt qu’une longue explication, tu préfères une courte démonstration. Libérant Xénos de sa Pokéball, le Motisma arborant sa forme hoverboard, tu lui réponds sur un ton joueur. « Pour m’y être rendu, il y a quelque temps, c’est bien tout ce que je saurais vous en dire de neuf. Je l’ai trouvé à peine arrivé sur place et c’est à peu près tout. » Désolée de ta propre ignorance à ce sujet, ayant à cœur de rendre service à l’olibrius en face de toi, tu écartes les mains, paumes vers le ciel, dans un geste qui rehausse tes épaules.
Sans plus de cérémonie, tu t’avances finalement devant l’ultime sas qui permet d’accéder au cœur du laboratoire. Tu ne nourris pas plus d’inquiétude que cela vis-à-vis de la présence de Shinichi, certaine de l’avoir vu ranger méticuleusement ses effets, avant de les laisser sous clef. Tu plonges une main dans la poche de ton chino, une fois n’est pas coutume, tu portes le pantalon, pour en sortir un badge accrédité. Tu le places contre le détecteur auprès de la porte et la première paire de portes s’ouvrent dans un coulissement iconique. Vous avançant tous deux, les portent se referme, non sans que le système ne te souhaite personnellement la bienvenue. Tu te penches ensuite sur le dernier dispositif, utilisant la biométrie oculaire. Rangeant soigneusement tes mèches rebelles derrière tes oreilles, l’écran passe au vert, affichant un Access Granted que vous pouvez aussi entendre résonner dans le sas.
« Je ne suis pas sûre de pouvoir vous donner tous les détails, mais un peu comme toutes les entreprises, je pense... Globalement, faire mieux que la concurrence ! » C’est peut-être de là que te viens le goût pour la compétition, si l’on y réfléchit bien. Ton regard s’obscurcit, là où tes lèvres s’étirent dans un sourire tenant davantage du machiavélisme enfantin que de la réelle menace. Tu éprouves vraiment du plaisir à essayer de vaincre tes adversaires et cette réaction ne fait que le confirmer. D’un pas triomphal, ne boudant pas ta satisfaction à étaler les infrastructures de ton entreprise, tu arpentes ce couloir. La partie qui vous fait face est une succession de grandes vitres en verre trempé, depuis lesquelles on peut voir une succession de salles de tests. Des bras mécaniques s’affairent, commandés à distance par des scientifiques protégés à leur poste par des blindages. Tu espères que Shinichi en aura pour ses mirettes, après tout, les flashs lumineux sont nombreux dans certaines salles, ce qui explique le teint particulier des vitres qui vous en protègent.
« Pour vous en dire, quand même, un peu plus. Expérimenter sur différents matériaux, avec différente techniques pour rendre le produit fini plus fiable, stable, résistant. Dans le cadre des méga-gemmes, accélérer le processus de métamorphose du pokémon pour se rapprocher au mieux de l’instantané. » Dans ton empressement, enjouée, tu marques une pause, l’air plus grave, le dissimulant tant bien que mal, tu lâches le fond de ta pensée. « J’aimerais aussi chercher un moyen de supprimer ou au moins limiter l’inconfort du pokémon à la transformation, mais on m’a bien expliqué que c’était inhérent au processus de méga-évolution et que de telles recherches, en plus d’être discutable d’un point de vue éthique, seraient une perte de temps et d’argent pour l’entreprise. » Une moue boudeuse se forme sur ton visage, le comportement plus immature, que tu gardes pour toi en temps normal, ressort naturellement en compagnie du pêcheur.
Réalisant les allégations que tu venais de formuler, tu t’empourpres un peu, te grattant l’arrière du crâne, tu enchaînes. « Pas que ça me pose problème en soit ! Du tout !! Plutôt que ça me pose question sur la répétabilité du processus et la propension des pokémons a toléré la métamorphose. J’veux dire, que ça lui fasse mal au pokémon, bwarf, tant pis ! Mais qu’il cherche à se soustraire à l’ordre, qu’il en souffre suffisamment pour être inutilisable ou qu’il en sorte blessé ou même mort, pas fou quand même, non ?.. » Plus tu cherches à te justifier, plus tu as l’impression d’essayer de cacher quelque chose à Shinichi. La chose te met profondément mal à l’aise. Tu es fière citoyenne de l’Empire, tu as tes excentricités vis-à-vis de tes Pokémon, mais tu comprends la logique. Cette impression de te sentir traîtresse à ta nation t’es physiquement insupportable.