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Le Deuil...

Lorsque tu t'étais inscrite à ce concours, un peu par hasard, guidée par une curiosité maladroite, tu ne pensais avoir à faire à ce genre de thématique. Pourtant cela s'y prêtait bien, le froid frappait la scène, et pour toi qui habitait avec lui au quotidien, tu comprenais ce que pouvait représenter sa morsure sur le monde. Les crocs glacés d'une nature se dévorant elle-même pour ensuite laisser place à un renouveau. Si chez toi, le glas du froid frappait presque constamment, ce n'était pas comme cela qu'était censé fonctionner le monde. Tel un cycle bien rodé, la destruction devait laisser de la place à la création. Celle-ci s'érigeant de toute sa beauté avant de devoir se faire détruire à son tour pour laisser place à sa future descendance.

Ainsi était la vie et la mort. Et le deuil n'était qu'une étape dans cette machinerie fonctionnelle. Une étape nécessaire pour que les témoins de ce cycle puissent grandir et évoluer avec lui.

Heureusement pour toi, tu avais parfaitement saisi les consignes sans souffrir d'une quelconque interprétation à cause de ton handicap. A tes côtés, deux autres candidats, semblant eux aussi focalisés sur la tâche qu'on leur avait remit. Pour toi, ce concours était un moyen comme un autre de trouver un sens à ton existence. Peut-être que tes talents devaient émerger aujourd'hui, dans ce contexte très particulier ? Et le fait que ce renouveau soit marqué par la thématique du deuil ne faisait qu'amplifier l'importance de cette journée à tes yeux.

Jugeant rapidement les moyens qu'on avait mit à ta disposition, tu fixais ta Germéclat, Belladone, virevolter dans tout les sens, elle aussi intriguée par ce que tu allais essayer de faire. Tu n'en savais encore trop rien, mais les concours n'étaient sans doute pas là uniquement pour juger de tes propres talents artistiques, mais aussi ceux de tes compagnons. Cette synergie qui devait vous guider dans la manifestation de votre imagination.

T'armant de tes pinceaux, et de peintures aux colories assez sombre, tu venais à commencer à broder ta toile. A tes yeux, même si tu étais d'un naturel très solitaire, tu ne pouvais pas t'imaginer le deuil comme autre chose que la perte d'un être cher. Naturellement, tu souffrirais si tu devais perdre ton frère et même Rodin. Car on était contraint de s'attacher d'une manière ou une autre à quelque chose. Mais il n'y avait pas plus grande représentation à tes yeux de ce cycle que celui de la famille, de l'enfant devant accepter l'inévitable fatalité frappant ses parents.

Pour autant, tu n'attaquais pas tout de suite avec les couleurs les plus sombres. Rapidement, et dans des mouvements qui se voulaient fluides, tu venais à peindre le squelette d'une scène typique. Celle d'un homme, le visage plongé dans ses mains, comme s'il se refusait à voir la tombe de sa mère. Une tragédie qui se répétait depuis la nuit des temps maintenant. Par moment, tu laissais Belladone intervenir, laissant sa bile toxique incorporer la peinture avant d'en rajouter de la profondeur et une surtout une texture qui se voulait contre-nature. Naturellement, la toile ne pouvait qu'être dégradée par la présence de ce poison, et cela amplifiait ce sentiment de désarrois, de mal-être profond.

La sensation que son monde s'effondre et perd toute substance, toute cohérence. Pourquoi continuer à exister face à la preuve flagrante de sa fin inéluctable ?

Et tandis que tu continuais à exprimer tes talents en peinture, tu te gardais bien de lâcher quelques regards sur les œuvres de tes concurrents. Tu avais peur d'être influencée, peur d'être ébranlée par leurs talents peut-être plus grand que le tiens. L'expression de tes sentiments par l'art visuel était pourtant un domaine dans lequel tu performais tout particulièrement. Ton handicap t'empêchant d'entendre le monde, tu t'étais alors contentée d'en détailler sa vision et de retranscrire tes pensées de la sorte. Naturellement, tu semblais avoir un avantage indéniable.

Ce qui était étonnant était la science que tu injectais dans ta peinture. Bien souvent, tu venais à changer la composante de celle-ci, pour peindre quelques formes plus joviales avant de les recouvrir à nouveau d'un mélange épais et sombre. A peu de chose près, on aurait pu dire que tu te perdais en futilité, mais la véritable portée de ton œuvre ne se dévoilait qu'à sa conclusion. Au même titre qu'il fallait accepter l’échec pour mieux rebondir.

Finalement, tu venais à terminer ta toile, laissant ta Germéclat y marquer ses dernières volontés pour la retourner et la montrer au Champion.

Ton œuvre était des plus morbides, des plus macabres. Le ciel était gris, les couleurs sombres et ternes, un fils se tenant accablé devant la tombe de ses parents et l'injection du poison dans ta peinture rendait le tout presque malaisant au regard. Car c'était ce qu'était le Deuil fondamentalement. Aussi naturel qu'il pouvait être, on aurait toujours du mal à l'observer, à le vivre. Bien que rédempteur, il n'avait jamais pour porter d'être agréable.

Pour autant, peu à peu, la première couche venait à perdre de sa consistance. Le poison ayant tôt fait de dégrader celle-ci, elle venait à se dissoudre, à se dissiper pour laisser place à l'arrière couche de peinture, faite d'un mélange différent bien plus résistant au poison de Belladone. Ce qui était gris devint bleu ciel, ce qui était froid devint chaleur. L'homme se tenait toujours devant la tombe de ses parents mais le regard désormais haut, plus fier. Ses mains n'étaient plus portés sur son visage mais devant lui, tenant ce qui s'apparentait être un bébé. Même la tombe de ses parents voyaient sur celle-ci être enjolivée par la nature. Les couleurs qui s'étaient faites étouffées par la première couche de noir laissant apercevoir désormais quelques beautés végétales.

Plus que des sentiments, tu avais tenté d'exprimer dans ta création évolutive l'aspect éphémère et essentiel du deuil. Celui-ci devait être fait mais pas subit jusqu'à la fin de ses jours. En acceptant la tragédie, l'homme avait apprit et avait perpétué le cycle de la vie. Un jour, son enfant l'enterrerait aussi, et il sera aussi soumit à la même épreuve ! Tout comme toi un jour.

Si ton interprétation et ton exécution étaient décevantes aux yeux du publique alors soit... Mais tu avais ce sentiment d'avoir réussi enfin à t'exprimer, sans passer par un portable ou par des signes.