Oh ! » fit-elle, comprenant soudain que les remerciements dont il parlait avaient plus à voir avec un remerciement monétaire plutôt qu’un remerciement vocal. Elle hésita un instant et acquiesça doucement. Ce n’était pas tant ses habitudes, la plupart des gens acceptait son aide sans demander leur reste et passait à autre chose. Rares étaient ceux qui avaient insisté pour la remercier autrement qu’avec un « merci ». On l’avait invitée à partager un repas, on lui avait offert un petit quelque chose ou tendu un bout de papier avec un numéro de téléphone « si vous avez un jour besoin d’un mécano ». « D’accord, » accepta-t-elle plus fermement avant d’ajouter : « N’hésitez pas, j’aime le Bayou et je pense que je vais y passer un peu plus de temps, peut-être que la prochaine fois j’aurais plus de pistes intéressantes à vous proposer. »

Et à mesure qu’ils poursuivaient, Lilibelle se perdit dans les « et si ». Elle l’entendit, la question de Sieg sur les tunnels, et une partie d’elle formulait déjà une réponse, considérait les options et ce qu’elle savait des espèces endémiques au Bayou. La réponse était déjà toute prête mais… mais elle en attendait une d’abord, une dont elle avait besoin, une nécessaire à apaiser le tumulte qui prenait naissance au creux de son ventre.
Lilibelle ne voulait plus jamais revoir l’expression anxieuse sur le visage de son père et moins encore celle, résignée, de sa mère. Elle voulait continuer à les voir sourire et s’épanouir. Sa mère, à la boulangerie et pâtisserie qu’elle tenait et où elle fournissait des biscuits et des gâteaux pour Pokémon. Et si son père n’avait pas encore trouvé son bonheur, fermier dans l’âme qu’il était, il y retrouvait peu à peu une légèreté que Lilibelle ne lui avait pas revu depuis longtemps. Ils refaisaient leur vie, se reconstruisait jour après jour. Ce n’était pas pour que l’horreur revienne frapper à leur porte pour leur voler le peu qu’ils avaient réussi à retrouver.

Pris au dépourvu par sa question, Sieg mit un instant à extirper son esprit de l’observation qu’il faisait des lieux, son appareil photo immortalisant tout ce qu’il pouvait. Une part de Lilibelle, échaudée par la perspective du malheur, se demanda s’il n’était pas en train de faire du repérage pour autre chose que la recherche d’un Pokémon étrange. Et s’il préparait les lieux pour une attaque ou quelque chose ? Et s’il… Non. Elle devait sortir son esprit de cet écueil qui n’avait aucune raison d’être. Sieg n’avait absolument pas l’attitude d’un agresseur et ne donnait pas cette impression malaisante qu’un espion devait avoir. Probablement. Merde à la fin, elle n’était sûre de rien et le stress commençait à lui faire perdre les pédales.
Se ressaisissant, la soigneuse hocha lentement la tête à la mention de Castra Nicia et Carteia. Elle en avait entendu parlé mais s’était efforcée de ne pas trop s’y intéresser. Elle n’avait peut-être pas vécu autant d’horreurs que d’autres mais elle avait suffisamment pour ne pas vouloir en rajouter inutilement. Ce qui était arrivé était passé et elle ne pouvait rien pour les malheureux, elle préférait ne pas avoir d’images en tête.

Lilibelle observa les environs, souhaitant trouver Zygarde, cette fois moins pour une question de curiosité et d’enthousiasme que dans l’espoir de pouvoir bénéficier de son aide. C’était probablement stupide. Les pokémons n’étaient pas égoïstes mais ils n’étaient pas forcément généreux non plus. Pourquoi Zygarde risquerait-il sa peau pour protéger Callero là où l’Empire n’avait pas jugé bon de le faire ?
Relevant le menton malgré la peur, Lilibelle carra les épaules. Callero s’était toujours débrouillé seul, ils n’allaient pas se reposer sur l’aide imaginaire d’un Pokémon. Si Zygarde leur venait en aide, c’était une bonne chose mais il était préférable de ne pas compter dessus et construire à partir de ce qu’ils avaient.

Rassurée par sa décision, Lilibelle hocha à nouveau la tête, pour elle-même cette fois-ci, et pointa du doigt certains pans de terre s’avançant dans l’eau marécageuse :

« Les kaiminus, Crocrodils et alligatueurs ont tendance à stocker les restes de leur proie dans des petites cavités qu’ils creusent sous l’eau. Compte tenu de la population, je pense qu’il doit y en avoir plusieurs. » Elle se tourna vers Sieg et haussa les épaules avant d’ajouter : « Je doute qu’ils soient très profonds cependant et je ne connais personne qui soit activement allé explorer d’éventuels tunnels là-dessous. » Elle ne le dit pas, mais ses pensées étaient plutôt clair : s’aventurer sous l’eau relevait déjà de la folie, aller, tête la première, explorer les tunnels où des alligatueurs étaient susceptibles de se trouver, relevait d’un tout autre niveau.
Elle inclina la tête sur le coté, fronçant les sourcils tout en réfléchissant. Lentement, pesant ses mots à mesure qu’elle fouillait sa mémoire, elle poursuivit : « Parfois… parfois les racines des arbres s’entremêlent au-dessus de la surface de l’eau et créé un genre de… tunnel ? Mais pas sous l’eau, sous la terre. C’est… » Elle releva les yeux vers Sieg et sourit : « une forme de tunnel, je suppose ? Au coeur du Bayou, dans les terres, je pense qu’il y a des tunnels à proprement parler mais je ne sais pas où ils sont. Pas encore, » ajouta-t-elle avec un petit sourire malicieux qui manquait de son piquant habituel. La nervosité d’un nouveau problème surgissant pour frapper Callero continuant d’assombrir son attitude d’ordinaire pétillante et enthousiaste.

« S’il a besoin d’aide et que je suis dans les parages, il n’aura pas loin à chercher pour trouver une alliée, » déclara-t-elle avec assurance. Les pokémons et, même si elle prétendait parfois le contraire, les humains, étaient généralement assurés d’avoir une alliée si Lilibelle était dans les parages. Elle ne supportait pas de rester sans rien faire si quelqu’un était dans le besoin. « Vous venez d’où ? » demanda-t-elle soudain, son regard d’un bleu intense trouvant celui de Sieg.