Je crois bien que j’lâche un sourire quand elle me dit que j’ai encore beaucoup à donner, que ce soit pour la cause, pour Callero, pour les autres ou peut-être bien pour le monde… j’en sais trop rien, et qu’importe. Il y a, de toute manière, quelque chose dans l’fond de mes entrailles qui m’laisse penser que j’suis effectivement bien plus à ma place ici, dans c’café, à tailler d’la bavette avec elle, plutôt qu’à plonger des lamelles de pomme de terre dans des jacuzzis d’huile bouillante pendant des heures. Et nos sourires, ils deviennent une sorte d’écho l’un de l’autre et, quelque part, ça aide à mettre un peu à distance les portails, les auras noirâtres, les attaques, les blessures et les cris... Ouais, c’est peut-être encore une fable sur l’espoir qui ne s’éteint pas, comme la flamme d’une bougie qui vacille dans l’cœur d’une nuit noire… Ouais, nous sommes deux bougies, assise l’une en face de l’autre, deux bougies dont les mains se serrent, et dont l’feu a peut-être bien gagné en intensité. Quoique, une bougie, vraiment? Elle fourre sa main dans sa poche pour en tirer son téléphone, et je m’dis que je me plante. Depuis combien de temps tient-elle cette torche à bout de bras ? Il n’y a qu’une bougie autour de cette table, une bougie qui se tient devant un feu d’cheminée, un feu d’cheminée qui joue avec les ombres depuis belle lurette… Mes yeux retombent un peu sur son sourire, quelques secondes, et j’ai l’impression qu’il était différent au début d’notre échange… Peut-être même pas une bougie, mais simplement un tisonnier. Et alors que je récupère son numéro de téléphone, je m’dis que ce rôle, il me satisfait plutôt bien si j’peux attiser le feu, à l’intérieur des cœurs.

Alors ma main glisse et mon index, il vient tapoter ma tempe, un coup ou deux. « Je vais y réfléchir, à tout ça, que je lui réponds alors, et je passerai quelques coups de téléphone dans les prochains jours. » Je range mon téléphone portable dans l’fond de mon jean, après avoir soigneusement enregistré son numéro, ce qui m’arrive assez peu d’ailleurs. Je regarde ma tasse de café vide, et puis tous ces gens dans l’café qui ne sont plus les mêmes depuis l’début de notre conversation. Je sais même pas combien de temps nous avons passé autour d’cette table, mais je sais que ça en valait l’coup. Cependant… « Je pense qu’il va être temps pour moi d’commencer à tailler la route, que j’ajoute alors, j’ai pris l’habitude de pas m’attarder trop longtemps quelque part, et j’crois bien que ça va être encore plus vrai pour les jours qui viennent. » Et si cette perspective de vie peut en attrister certains, moi, c’est tout l’contraire. « Après tout, j’ai un Chevroum à remettre sur pied, que je m’donne pour excuse, et des personnes qu’il va falloir que je rencontre pour les convaincre… » Dans un recoin d’mon crâne, j’inscrit déjà Syene comme ma destination première. C’est que j’ai une éditrice sous l’coude qui pourrait bien nous faire profiter d’son réseau d’artistes, et qui n’serait pas sans montrer d’intérêts pour un évènement comme la Fête des Lendemains.

Je commence à m’lever en collant une nouvelle fois mon regard sur l’visage de Kyra, et j’sens bien que, ma langue, elle s’agite et elle se retourne sur elle-même pendant une fraction d’seconde, à l’intérieur de ma bouche, et c’est peut-être bien ça qui commande le silence que j’viens balayer d’un mouvement de tête. « Et… merci, pour cette conversation… » Je crois bien qu’il y a des morceaux d’moi-même qui sont assez interdits en entendant ça. C’est sincère, mais il faut croire que j’ai perdu l’habitude de ça. Peut-être parce que je n’ai pas eu grand monde à remercier jusque-là, à part Capone, peut-être. C’est bien possible… Et soudainement, comme pour envoyer tout ça sous la table comme sous un tapis, ou pour planquer un ou deux cadavres dans un placard, un large sourire apparaît sur ma tronche, et je flanque aussitôt les mains dans mes poches : « Et pour l’café aussi, que j'finis par lui lâcher, j’avoue que j’ai pas un rond pour me l’payer, mais, je te revaudrais ça, promis ! » Ouais, faut croire que toutes les habitudes ne s’perdent pas aussi simplement, que j’me dis alors, en poussant la porte du café…