Ainsi la violence retrouve sa place dans le cœur des victimes. Comment avoir de la pitié pour ses oppresseurs ? L’entité secoue sa tête, sa longue chevelure se balançant sur un vent inexistant. Ce n’était pas tant de la désapprobation qu’une réaction curieuse face au désespoir dont tu fais preuve. Non, il ne se permettrait pas de juger, pour autant qu’il te teste.

Tu as su faire preuve de courage et détermination, tu as été désespéré, terrifié. Peut-être que tu souhaites que ça s’arrête mais, ce n’est pas ainsi que ça fonctionne. Il est maître ici et tu ne te réveilleras pas tant qu’il ne le souhaite pas. Pas même alors que des plaintes s’échappent de tes lèvres entrouvertes et que ton corps se secoue. Même l’inquiétude d’Alexis ne saurait te réveiller avant l’heure. Alors dors, Even Parker. Dors bien profondément, parce qu’il te reste une dernière épreuve à braver ou subir.

La porte s’ouvre derrière toi, tu peux fuir, loin de cette vision, loin du corps calciné de l'Apôtre et du sourire sadique de ta mère. Peut-être aurais-tu dû porter plus attention à cette porte qui s’est ouverte, ses doubles battants familiers, bien trop sophistiqués pour une porte d’intérieur, ou peut-être simplement que celle-ci à changé de tête une fois que tu y a mis les pieds avec un sourire moqueur et la connaissance que tu n’allais pas passer un bon moment.

Parce que tu n’avais pas passé un bon moment ici la dernière fois.

Tout est en place. Des lustres, à la table jusqu’à la nourriture chaude et juteuse. et même les invités, bien qu’ils aient l’air endormis sur leurs chaises. Les portails grondent le long des murs, ouvrant leurs ventre sur du noir. Juste du noir. Profond, infini. Tu es assis à ta place, bien que tu ne te rappelle pas forcément t’être assis. Le corps sombre de l'Apôtre s’agite en bout de table, ses volutes noires ayant un air presque hypnotique. En face de lui de l’autre côté, Naseem Laham, le Maître de la Ligue mange paisiblement. Tu es au centre, pile entre les deux, Alexis d’un côté, Alisha de l’autre. Toutes deux endormies comme le sont aussi, Jude, Hunter et Blair en face de toi. Tes amis, ta famille.

L'Apôtre avale un œil. Juste un oeil brun. A ta gauche tu remarques que Naseem en possède un en moins. Il s’essuie doucement la bouche en tapotant avant de se tourner vers toi.

« Even Parker. J’ai beaucoup entendu parler de toi. Un énorme potentiel. L’enfant prodigue, voué à de grandes choses… peut-être capable de changer le monde. » Il rigola, un son qui se réverba dans la salle, l’écho était tout sauf naturel. « Si tu peux le sauver avant cela dit. » Il prit une autre bouchée. Un doigt.

Un bruit de couvert qui tombe sur le sol. C’était Naseem qui avait lâché sa fourchette, faute de pouvoir la tenir. Sa main avait disparu. « Ah. C’est un peu pénible, ça. Tu vois, j’avais espoir que tu puisses m’aider. » dit le Maître de la Ligue. « Mais je crois que je ne peux pas compter sur toi. L’indécision est une mauvaise chose, tu sais. » Il agita son bras, qui disparaissait de plus en plus, se faisant translucide alors que l’Apôtre continuait de mâchonner en fixant l’homme de ses deux yeux vermeilles. Des ailes sombres étaient apparues dans son dos. « Menace Obscure, Espoir. Répondre aux attentes de ta mère ou tout lâcher pour autre chose. Demander la main d’Alexis, ne pas le faire... T’as le cul entre deux chaises, c’est pas un peu inconfortable ? »

L’Apôtre rigola, il avait doublé de taille, d'immenses crocs s’étaient dévoilés sur sa bouche inhumaine. « Dis-moi Even Parker. Es-tu assez fort pour affronter tes cauchemars, ou vas-tu les fuir comme tu fuis tes responsabilités ? » Naseem avait presque entièrement disparu. Il t’adresse un dernier regard sans compassion, juste curieux. Un regard d’un œil unique. Bleu. « Il est temps de faire un choix, tu ne crois pas ? »

La silhouette de l’Apôtre ne l’était plus, c’était le monstre de la dimension parallèle, le monstre qui ouvrit grand sa bouche pour se jeter sur vous. Vous tous assis à la table, et vous dévorer. En une bouchée.

Un sursaut. L’air frais de la chambre sur ta peau, la couverture en vrac à tes pieds. Le contact familier de ton aimée. C’est sur cette question que tu te réveille. Et du coin de l'œil, à l’ombre d’une porte, tu aurais pu juré voir une ombre qui t’observais.

Tes sommeils des prochains mois seront sans rêves, sans cauchemars.